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GOETHE.

conscience personnelle. C’est dans sa correspondance qu’il faut chercher les traits qui le caractérisent. Le 5 mars 1759, Schiller répond à Goethe, qui se plaignait à lui de ne pouvoir trouver l’activité vers laquelle il aspire : « Je ne comprends pas comment votre activité peut demeurer un instant suspendue, vous qui avez le cerveau plein de tant d’idées, de tant de formes, qu’il suffit du plus simple entretien pour les évoquer. Un seul de vos projets, de vos plans, tiendrait en éveil la moitié de toute autre existence. Mais ici encore votre réalisme se manifeste ; car, tandis que nous tous nous portons les idées avec nous et trouvons déjà en elles une activité, vous, Goethe, vous n’êtes content qu’après leur avoir donné l’existence. » Où trouver une expression plus juste pour déterminer les différences qui existent entre ces deux génies ? Chez Schiller, l’idéalisme est à demeure, les idées débordent même au sein de l’activité la plus vive ; pour Goethe, au contraire, elles n’ont de valeur qu’à la condition d’avoir l’existence et la réalité. Cet amour de la plastique, qui se révèle incessamment dans son œuvre, le poursuit partout dans la vie ; toute chose, autour de lui, doit avoir la forme et le contour ; il aime l’activité pratique et la recherche ; il construit, il ordonne, il gouverne dans son centre ; il était né pour l’empire.

Comme on pense, cette activité ne le satisfait pas toujours ; quelquefois le résultat qu’il attendait lui manque ; alors il se décourage pour un moment. C’est ainsi qu’au mois de mars de la même année il écrit à Schiller, de retour dans sa paisible retraite d’Iéna : « Je vous porte envie à vous, qui vous tenez dans votre cercle, et par là marchez en avant avec plus de sûreté. Dans ma position, avancer est un fait très problématique. Le soir, je sais qu’il est arrivé quelque chose qui sans moi ne serait pas arrivé peut-être, ou du moins serait arrivé tout autrement. » Il obéit à l’ascendant impérieux qui l’entraîne, mais non sans reconnaître qu’il subit pour sa part la loi commune, non sans se dire tout bas que là aussi comme partout le côté humain, l’imperfection (das Unvolkommene), se fait sentir. « Les relations au dehors font notre existence et en même temps la dévastent ; et cependant il faut voir à se tirer d’affaire, car, d’un autre côté, je ne pense pas qu’il soit bien salutaire de s’isoler complètement, comme Wieland. » Et quelques années plus tard, en juillet 1799, las des théâtres de société, des poésies d’amateurs et de toutes les importunités d’un dilettantisme qui ne manque jamais de s’adresser à lui comme à l’arbitre suprême dans Weimar, il écrit dans une boutade misanthropique : « Plus je vais et plus je me fortifie dans la résolution