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ressent, dit-il, il y en a toujours une qui se constitue au centre, en planète souveraine ; dès-lors tout le reste gravite à l’entour jusqu’à ce qu’il arrive à ceci ou à cela de se faire centre de même. » Cependant cette concentration momentanée ne lui réussissait pas toujours ; alors il avait recours aux moyens extrêmes, rompait violemment avec le monde, et s’interdisait toute communication au dehors ; puis, lorsqu’il s’était délivré, dans la retraite, de ces torrens d’idées qui grondaient en lui, on le voyait reparaître. Libre, heureux, accessible à tous les intérêts du jour, il renouait le fil des relations agréables, et se baignait dans le frais élément d’une existence élargie par son activité, jusqu’à ce que, le moment venu de quelque autre métamorphose intérieure, il se retirât de nouveau dans son cloître. C’est ainsi qu’il s’enferme six mois, cherchant comme Paracelse dans des études mystérieuses la solution du grand problème ; la vérité qu’il entrevoit, il la garde en lui-même, et s’efforce de trouver, par des expériences sans nombre, le moyen de la révéler au monde. Sa grande étude, le mobile et le but de ses spéculations expérimentales, c’est, je le répète, la science de la nature. Il y a de l’alchimiste dans Goethe. Au XXe siècle, il n’eût pas écrit Faust, il l’eût été. Je ne prétends pas dire que Goethe demeure indifférent à sa gloire poétique ; mais un fait certain, c’est qu’il ressent plus d’orgueil d’une théorie que d’un poème, d’une chose découverte que d’une chose imaginée. Et qu’on ne pense pas qu’il joue ici la comédie, et cherche, comme lord Byron, à se divertir des hommes en affectant de trouver le signe de sa force partout ailleurs que là où Dieu l’a mis. Cette prétention chez Goethe est sincère, honnête, et se fonde après tout sur des motifs incontestables, mais dont l’immensité de sa gloire littéraire a rendu la légitimité moins apparente. Qu’on se l’explique ou non, là est la grande affaire de son amour-propre : il demande si Cuvier est content avant de s’informer s’il a satisfait Schiller ; dans les dernières années de sa vie, rien ne lui réjouit l’ame comme de voir la Théorie des couleurs grandir avec le temps dans l’opinion, et gagner peu à peu d’importans suffrages à l’étranger. Aucune distraction, ni les charmes de la plus agréable compagnie, ni les plus vives jouissances que l’art procure, ne sauraient le détourner de sa contemplation. Ainsi nous le voyons, en Sicile, poursuivre parmi les ruines d’Agrigente son idée sur la métamorphose des plantes ; à Breslaw, étudier l’anatomie comparée au sein du menaçant appareil de la guerre ; en Champagne, au milieu des dangers et de l’épouvante, comme devant Mayence sous la foudre du siége, s’occuper de phénomènes