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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

avec ses mœurs. Peut-être, retiré dans ses terres, M. de N… nous prépare-t-il aujourd’hui une constitution.

J’espère que nous n’en aurons pas besoin, et qu’il en sera pour ses peines. Pensez-vous cependant que de telles idées traversant une haute et sympathique intelligence, que d’autres rêves plus hardis conçus par des ames plus ardentes ne donnent pas beaucoup à réfléchir ? À l’aspect des désordres qu’entraîne chaque année le jeu de nos institutions, n’est-on pas conduit à se préoccuper de l’avenir, et lorsqu’on voit la machine politique fonctionner à si grand’peine dans un temps prospère et par des jours de calme, ne doit-on pas trembler en songeant à la première tempête ?

Je le répète, monsieur, je ne suis pas novateur de ma nature ; mais je persiste à croire que des hommes auxquels seraient permis le long espoir et les vastes pensées n’estimeraient pas faire une œuvre de haute politique en se croisant les bras dans l’immobilité du statu quo. Le nôtre n’est pas sans doute aussi sensiblement compromis que celui de l’Orient, si long-temps professé comme un dogme politique. Mais aux yeux des hommes de sagacité, la bataille de Koniah et même celle de Nézib étaient-elles donc nécessaires pour apprécier la valeur du statu quo oriental ? Travaillons à ce que les évènemens ne nous surprennent pas de la sorte, améliorons nos lois pendant qu’il nous est donné de dominer le mouvement qui nous entraîne, et par crainte des révolutions ne leur frayons pas des voies plus faciles.

Le parti conservateur s’est malheureusement organisé en France autour d’un mot plutôt qu’autour d’une idée. Chez, vous monsieur, cette dénomination présente un sens lucide et complet. Le but du parti auquel elle est appliquée n’est pas seulement de conserver certaines formes extérieures, un roi, des lords et des communes ; il y a derrière ces vieilles institutions une masse compacte d’intérêts organisés, une législation civile fondée sur un seul principe, des universités et une puissante église dont l’existence politique est légalement reconnue, un système entier d’administration et de justice locale fondé sur les tenures territoriales ; les conservateurs d’Angleterre s’entendent donc parfaitement sur chaque question aussi bien que sur toutes les questions à la fois. Il n’en est pas ainsi en France, et c’est pure chimère que d’aspirer à y fonder un système durable sur le principe exclusif de la conservation politique. On n’est, chez nous, conservateur que par crainte des révolutions. Ce sentiment cesse-t-il un moment d’agir, chacun suit la pente naturelle de sa pensée, l’entraînement de ses passions personnelles.