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MÉLANCTHON.

prêté. Pour Luther, il y fit une entrée triomphante, ayant avec lui Carlostadt, qui devait être son second, et tous les professeurs de l’académie de Wittemberg, Mélancthon compris. Ils avaient attiré un si grand concours d’abbés, de nobles, de chevaliers, qu’aucune église ne parut assez grande pour contenir toute cette foule, et qu’il fallut que le duc de Saxe fît disposer pour les recevoir la grande salle de la citadelle. Après une messe célébrée dans l’église de Saint-Thomas, en grande pompe et avec musique, on se rendit en procession au lieu des séances. Des gardes placés aux portes protégeaient l’entrée des personnes admises à assister au colloque, et repoussaient la multitude qui faisait irruption sur leurs pas. Mosellanus, conseiller du prince, et chargé de la harangue d’ouverture, n’y put pénétrer que par une porte secrète.

On se prépara à la dispute par des chants religieux, et par un repas qu’un héraut d’armes fit cesser. Jean de Eck et Carlostadt engagèrent le combat. Ils disputèrent sur le libre arbitre. Carlostadt en nia l’efficace pour l’œuvre du salut : il dit que Dieu est l’ouvrier, et notre libre arbitre le marteau avec lequel il fabrique notre salut. Jean de Eck soutint que le libre arbitre y est pour une part, et la grace pour une autre. Il invoquait l’autorité d’Aristote, le seul père de l’église dans l’étrange catholicisme des scolastiques.

Voici, du reste, comment ce nom se trouvait mêlé au débat du libre arbitre et de la grace. La philosophie aristotélique accorde tout à la force de l’homme, à la volonté, au libre arbitre ; c’était la doctrine païenne, dont l’excès alla jusqu’à égaler la volonté de l’homme à la toute-puissance des dieux. Or, les scolastiques s’autorisaient de cette philosophie pour défendre le libre arbitre. De là la haine de Luther et de ses disciples contre Aristote, auquel ils ne pardonnaient pas l’importance qu’il donne à la volonté dans la conduite morale de l’homme, leur doctrine étant que la grace seule fait les mérites et la moralité des actions.

À Carlostadt succéda Luther, qui souleva la question de la suprématie de Rome et de son évêque. Il dit que cette suprématie ne résultait que de décrets d’une date récente. Sur quoi Jean de Eck se récria qu’il reconnaissait là un reste de la faction de Jean Huss. Luther sentit le piége, et sut échapper avec beaucoup d’adresse à la comparaison.

Vingt jours se passèrent en disputes de ce genre. Un incident les interrompit. Le marquis de Brandebourg revenant par Leipsick de la diète qui avait élu Charles-Quint empereur, le duc de Saxe eut