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de Wittemberg avait recouvré la parole. L’esprit de Luther, soulagé de ce qu’il appelait, dans sa langue hardie, les obsessions du diable, et qui n’était que le doute et les craintes de la chair, avait repris toute son audace. Il gagna Mélancthon par ce mélange si extraordinaire de fougue et de subtilité, par cette domination qu’il exerçait sur tous ses amis, et qui les retint presque tous, quoique frémissans, sous son joug, jusqu’à la fin de sa vie.

IV. — LA DISPUTE DE LEIPSICK.

Le premier écrit où Mélancthon s’engagea dans les doctrines nouvelles, fut une préface sur le prix de la vraie théologie et sur l’étude des saintes lettres. Je ne parle pas d’une ode grecque à la louange de Luther qui parut dans le même temps. Dans cette préface, il n’entrait pas dans le fond des idées de Luther ; il se bornait à des considérations générales sur l’importance des matières et sur la préparation qu’il y fallait apporter. Il fit d’abord plusieurs préfaces de ce genre, moins en manière d’adhésion formelle qu’à titre d’hommage d’un lettré à un théologien célèbre. Il n’y laissait voir encore qu’une très vive curiosité, tant pour les choses que pour l’homme.

Dans ce temps-là, on envoyait à Luther, de tous côtés, en forme de défi, des conclusions : c’était la manière de jeter le gant entre théologiens. Parmi les champions de la scolastique qui s’étaient offerts à croiser leurs doctrines contre les siennes dans un combat singulier, Jean de Eck ou Eccius, théologien d’Ingolstadt, était de beaucoup le plus renommé. On le disait chargé secrètement par le pape d’exciter Luther, et d’en tirer par l’impatience quelques propositions assez manifestement hérétiques pour qu’il y eût moyen d’en finir avec lui comme on avait fait avec Jean Huss. Luther accepta le défi ; mais, soit qu’il craignît un piége, soit qu’il trouvât son adversaire insuffisant, il offrit d’abord de le faire réfuter par écrit, et il en chargea le plus ardent de ses disciples, Carlostadt, archidiacre de Wittemberg. Jean de Eck, qui passait pour n’avoir pas la plume facile, et qui, au contraire, avait eu de nombreux succès de parole, ne voulut pas d’une dispute de plume. Il importait que la réforme ne refusât pas le premier combat public avec la scolastique. Luther accepta donc le défi de Jean de Eck. Le lieu fut Leipsick, où était la cour du duc de Saxe ; le jour, le 17 juin 1519.

Jean de Eck se rendit à Leipsick, suivi seulement d’un domestique ; et encore, dirent ses adversaires, ce domestique lui avait été