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idylle des Moutons dans le recueil de Coutel. Ce fut vers 1735 que se fit cette grande découverte : presque à la fois le Mercure Suisse, dans le numéro d’avril de cette année, le baron de la Bastie et le président Bouhier, dans des lettres à l’abbé Le Clerc (janvier et février 1735)[1], dénonçaient ou discutaient le prétendu plagiat. Fréron, depuis, et d’autres sont entrés en lice : nous les y laissons, certain que l’idée de s’adresser à des moutons n’est pas neuve, et que la manière dont l’a fait Mme Des Houlières s’approprie au tour exact de son esprit. À part ce soupçon injurieux, elle continuait de garder sa place. J.-B. Rousseau, il est vrai, dans sa correspondance[2], affecte de la rabaisser : vieille rancune de versificateur à la suite de Racine, contre l’école de Fontenelle. Voltaire, si plein de tact en courant quand il est désintéressé, nous indique du doigt, dans son Temple du Goût, « le doux, mais faible Pavillon, faisant sa cour humblement à Mme Des Houlières, qui est placée fort au-dessus de lui. » Pour revenir à l’école même qu’elle représente, et que nous avons montrée un peu jetée de côté dans le XVIIe siècle, il semble qu’elle ait eu sa revanche au XVIIIe ; je veux dire que, même sans qu’on s’en rendît compte, cette manière avant tout spirituelle, métaphysique, moraliste et à la fois pomponnée, de faire des vers, prévalut et marqua désormais au front la poésie du siècle, avec quelques différences de rubans et de nœuds seulement. On en peut demander des nouvelles à Saint-Lambert, qui est en plein milieu. Voltaire, de toutes parts entouré, y échappe le plus souvent à force d’esprit et de saillie vive. La cour de Sceaux s’y complut trop pour en sortir. Et combien n’y a-t-il pas, en effet, de Mme Des Houlières dans le goût comme dans les idées de cette spirituelle Launay, contre laquelle un illustre critique a été si ingénieusement sévère[3] ! Il a eu raison de l’être : le genre plus ou moins précieux, qui s’était tenu dans les coulisses sous Louis XIV, rentrait en scène en s’émancipant. Des révolutions sérieuses rompirent cette filiation, qui n’était vraie que par un point à l’origine. La plupart des noms surtout, en s’éloignant, s’évanouirent. Au commencement de ce siècle on se retourna encore pour regarder un moment ces petites gloires prêtes à disparaître : Mlle de Meulan, qui n’était pas sans quelque rapport de bel-esprit mo-

  1. Tome V des Nouveaux Mémoires d’Histoire, de Critique et de Littérature, par l’abbé d’Artigny.
  2. Lettre à Brossette du 4 juillet 1730 : « Il y a plus de substance dans le moindre quatrain de Mlle Cheron que dans tout ce qu’a fait en sa vie Mme Des Houlières…
  3. M. Villemain, Tableau du dix-huitième Siècle, onzième leçon.