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mieux, c’est certainement Hesnault ; c’est lui aussi qui, de tout ce groupe, paraît avoir le mieux compris la position fausse où l’esprit, le goût libertins, allaient se trouver sous Louis XIV, par-devant Despréaux le censeur, et en regard du decorum grandissant. Il considéra de bonne heure sa vie, même de poète, comme une partie perdue, et tournant le dos à l’avenir comme au grand ennemi, il ne s’occupa qu’à piller tout le premier le butin.

L’aimable et moins hardi Pavillon n’était point ainsi ; je ne sais s’il se tourmenta beaucoup de la renommée, mais il ne la méprisait pas et crut la posséder suffisamment. Les trois quarts de sa longue vie, toute diaprée de madrigaux et de conseils à Iris, se passèrent dans les jouissances littéraires sans envie, dans la goutte sans aigreur : il eut de la gloire dans sa chambre. Également bien avec Boileau et avec Tallemant, il succédait aussi coulamment à Benserade dans l’Académie française qu’à Racine dans l’Académie des Inscriptions. Il mourut âgé de soixante-treize ans, écrit l’honnête Niceron, ayant conservé jusqu’à son dernier moment son bon sens, sa réputation et ses amis : rien que cela ! En pourrait-on dire autant aujourd’hui de beaucoup de nos grands hommes ? Sa fable intitulée l’Honneur, très courte, il est vrai, semble du La Fontaine au temps de Fouquet[1].

Saint-Pavin, qui lui est supérieur en vivacité, en hardiesse, a du prix comme poète. Fontenelle le goûtait beaucoup. Dans un choix en six volumes[2], fort bien fait, où le siècle de Louis XIV en poésie est d’ailleurs comme non advenu, et où il paraît que Fontenelle a mis la main, Saint-Pavin tient une bonne place entre Charleval et Voiture. Il la mérite de tout point. Fut-il un peu contrefait, comme son portrait, tracé par lui-même, l’indiquerait ? Son esprit, en ce cas, justifia le proverbe en redoublant de gentillesse : c’était du plus coquet et du plus fin dans le monde même de Mme de Sévigné, sa voisine de campagne à Livry. Il eut du Chaulieu dans ses mœurs, dans sa vie de bénéficier assez licencieux ; son tour exquis, railleur, ne rappelle pas mal cet autre abbé poète, Mellin de Saint-Celais. Il hanta fort Des Barreaux dans sa jeunesse : on l’a même voulu rattacher au poète Théophile. Du milieu de ses délices, il songeait à l’art et le pratiqua.

  1. Est-elle bien de Pavillon ? Je la trouve également attribuée à Fontenelle ; en un si grave procès je ne décide pas.
  2. Recueil des plus belles pièces des poètes français depuis Villon jusqu’à Benserade, 6 vol. in-12. 1752. La première édition est de 5 vol. Barbin, 1692. On attribue à la plume même de Fontenelle les petites vies des poètes qui y sont touchées avec une netteté élégante.