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REVUE DES DEUX MONDES.

En arrivant à Wittemberg, Mélancthon trouva tout à faire dans l’enseignement. Les moines, empêchés par le prince de faire des entreprises ouvertes contre les lettres, les attaquaient sourdement, et en éloignaient les peuples comme de sources empoisonnées. Wittemberg n’avait ni imprimerie, ni livres grecs. Vitus Winshemius nous a laissé un témoignage curieux de ce dénuement. « Je me souviens, dit-il, qu’après deux ans de séjour à Wittemberg, Mélancthon expliquant les Philippiques de Démosthènes, nous n’étions que quatre auditeurs, n’y ayant qu’un seul exemplaire de cet ouvrage, qui était celui de notre maître, et que nous étions forcés de copier sous sa dictée[1]. » Ajoutez que des leçons sur Démosthènes étaient une nouveauté presque plus étrange, en Allemagne, que les dogmes de Luther.

Outre les travaux de son enseignement, ses écrits particuliers et les éditions qu’il surveillait, Mélancthon tenait une classe privée. Sa santé, moins forte que son courage, suffisait à peine à tant de travaux. « Je ne crains qu’une chose, écrit Luther à Spalatin, c’est que sa tendre constitution ne supporte pas la manière de vivre de ce pays. » Et plus tard, écrivant au même : « Philippe Mélancthon, dit-il, va à merveille, si ce n’est que nous ne pouvons obtenir de lui qu’il ne ruine pas sa santé par son ardeur insensée pour les lettres : emporté par la chaleur de son âge, il veut tout faire lui-même et que tout le monde fasse tout en même temps[2]. » L’électeur Frédéric, lui envoyant du vin de sa cave, lui citait cette parole de saint Paul : Il faut honorer son corps ; « et si tu crois, ajoutait ce prince, que les autres paroles de cet apôtre sont vraies, crois-le aussi de celles-ci, et qu’il faut y obéir[3]. »

La vie de nos professeurs les plus occupés ne peut pas donner une idée de celle de Mélancthon. Il faisait deux leçons par jour à l’académie, et probablement autant et de plus longues chez lui. Il prenait l’élève au sortir de l’enfance, le conduisant de degrés en degrés, des élémens de la grammaire jusqu’à l’étude de la théologie, qu’il regardait comme le couronnement de l’éducation littéraire. Il composait des grammaires grecques et latines, écrivait des traités élémentaires de toutes les sciences, distinguant dans chacune ce qui lui appartenait naturellement de ce que la barbarie y avait importé d’étranger et d’hétérogène, séparant, par exemple, la théologie de la philosophie,

  1. Oraison funèbre de Mélanchton.
  2. Lettres de Luther.
  3. Oraison funèbre de Mélanchton, par Vitus Winshemius.