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MÉLANCTHON.

je le vois, la jeunesse est sourde à de tels auteurs. J’ai pu à peine retenir dans la salle quelques auditeurs, qui, par égard pour moi, n’ont pas voulu m’abandonner, ce dont je leur rends grâce. Je n’en continuerai pas moins à faire mon devoir, malgré les gens, dira-t-on dans les dîners, et demain j’expliquerai la quatrième philippique de Démosthènes[1]. »

Quoique la quatrième philippique de Démosthènes ne soit guère moins douce, selon sa charmante expression, que la seconde olynthienne, un mois après la même solitude le força de prétexter la publication prochaine d’une traduction des Philippiques pour en suspendre l’explication. Il y substitua des leçons sur les problèmes d’Aristote, dont il vanta aussi la douceur dans l’affiche de son cours, probablement avec un peu plus de succès, à cause du nom d’Aristote, si populaire encore, quoique vaincu enfin avec la scholastique.

Il lui fallait user des mêmes insinuations pour faire venir des auditeurs aux leçons sur les poètes, dont il entremêlait ses explications des orateurs et des philosophes. Voici comment il tâche de les allécher pour Homère : « J’ai résolu, dit-il, avec la grace de Dieu, d’expliquer quelques chants d’Homère. J’y consacrerai la sixième heure du soir, les mercredis, et, selon ma coutume, gratuitement. Ce qu’on a dit d’Homère, qu’il a mendié pendant sa vie, n’est pas moins vrai d’Homère mort ; car il erre çà et là, cet excellent poète, demandant qui veut l’entendre. Il ne peut pas promettre d’argent ; mais il promet la science des grandes et des belles choses. Il ne s’adresse pas à ceux qui étudient les arts lucratifs, et qui font consister la sagesse à mépriser tout savoir honorable. Que si, par accident, Homère, comme il est aveugle, vient à se heurter contre quelqu’un de ces sages, il prie qu’on le renvoie poliment, comme Platon le renvoie de sa république[2]… »

La dispersion de l’académie de Wittemberg, que, sur une fausse appréhension de la peste, l’électeur avait transportée à Iéna, vint ajouter à ses devoirs et à ses sollicitudes. Il avait été chargé de pourvoir à ce que ce déplacement se fît au moindre dommage possible pour les études. Il fallut d’abord prendre des mesures pour que la nouvelle de cette émigration ne causât pas de troubles. Un grand nombre d’étudians parcouraient armés les rues de Wittemberg : il fallut les calmer et leur ôter leurs armes. À Iéna, les difficultés aug-

  1. Corp. ref., tom. II, no 1109.
  2. Ibid., no 1024.