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MÉLANCTHON.

sions faites en commun, et de couvrir par l’orgueil et l’audace les plus choquantes contradictions ; ou de raffiner comme Bucer, entre les zwingliens et les luthériens, pour donner à l’église de Strasbourg quelque caractère qui la distinguât et qui en relevât le chef ; ou enfin, de travailler, comme Mélancthon, — au risque de la maladie qui tue le corps et de la calomnie qui tue l’ame, jour et nuit, par la plume, par la parole, en public, et dans le privé, — à établir par voie de concessions réciproques une réforme qui ne fît disparaître que les scandales, et qui sauvât la paix, l’ordre et les lettres, d’une nouvelle guerre de paysans ?

Pour moi qui n’aime pas moins la modération depuis le temps où j’en ai étudié l’un des plus beaux portraits dans la vie d’Érasme, puisqu’il fallait que tout le monde fît des fautes, je préférerais la conduite de Mélancthon avec toutes les siennes, d’autant que sa modération fut plus magnanime que celle d’Érasme. Car dans le même temps que celui-ci écrivait à Mélancthon que, « loin de se mêler des affaires d’Augsbourg, il songe à s’éloigner de l’Allemagne, » Mélancthon, selon le mot de Luther, se macérait pour maintenir cette paix qu’Érasme se contentait de préférer à tout. La modération d’Érasme, surtout vers la fin de sa vie, put ressembler à une retraite au moment du danger. Celle de Mélancthon fut active et courageuse ; elle provoqua les inimitiés et y tint tête. Il courait les mêmes périls que ceux qui tenaient pour les partis violens, ayant sur eux le mérite de n’être soutenu par aucune des grandes passions qui dérobent le danger, et de risquer pour l’intérêt général autant que chacun d’eux pour sa cause particulière. Or, s’il est vrai que dans ces grands évènemens, si manifestement marqués du doigt de Dieu, tout concourt et tout sert au résultat, ceux qui précipitent les choses comme ceux qui y font obstacle, ceux qui doutent comme ceux qui affirment, personne d’ailleurs n’ayant la gloire de ne pas faire de fautes, le plus beau rôle est pour celui qui a le plus souffert pour rester le plus modéré.

Mélancthon laissa d’ailleurs la marque de son rare esprit dans la confession d’Augsbourg, qui avait été adoptée comme le formulaire de la nouvelle doctrine, et dont la rédaction était son ouvrage. On n’avait pas encore vu les questions de théologie exposées avec tant de méthode et de clarté, et des interprétations si ardues appropriées si bien à l’intelligence du plus grand nombre. Tout le parti finit par y souscrire. Ceux qui avaient fait des réserves dans l’opinion qu’elle serait acceptée de l’empereur, la voyant rejetée à la fin tout