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MÉLANCTHON.

de mon frère, de Poméranus, de toi, me soulageait. Que ne nous écoutes-tu donc à notre tour ?… Je suis le plus faible dans les difficultés privées, et toi le plus fort. Au rebours, tu es en public ce que je suis dans le privé. Je suis spectateur presque sans souci, et je ne fais pas grand état de ces papistes si fiers et si menaçans. Si nous succombons, Christ succombera avec nous, lui qui est le roi du monde. Soit : qu’il succombe ! J’aime mieux tomber avec Christ que demeurer debout avec César. » Et ailleurs : « Je hais ces soins excessifs dont tu te dis consumé. Que s’ils te dominent de cette façon, ce n’est point par la grandeur de la cause, mais par la grandeur de notre incrédulité… Pourquoi t’agiter à en perdre haleine ? Si la cause est fausse, retirons-nous ; si elle est vraie, pourquoi faire mentir à ses promesses celui qui nous ordonne d’être oisifs et endormis ? Dieu a la puissance de ressusciter les morts ; il a la puissance de soutenir sa cause chancelante, de la relever si elle tombe, de la faire marcher en avant. Si nous sommes indignes, l’œuvre se fera par d’autres[1]. »

J’admire cette force et cet enthousiasme. Mais Mélancthon, après l’émotion d’une première lecture, n’en tirait guère de secours. Toute cette confiance ne résolvait aucune difficulté, et pouvait en faire naître de nouvelles. Les embarras de Luther avaient été grands ; mais il se les exagérait en ne permettant pas à Mélancthon d’y comparer les siens. Sa position avait toujours été nette. Dès le premier jour, il avait dit comme le Christ : « Quiconque n’est pas avec moi est contre moi. » Il n’avait affaire qu’à des ennemis irréconciliables, et il ne souffrait que des amis sans volonté et sans avis. Dès-lors tout était facile. Avec ses ennemis, la discussion, au lieu de l’embarrasser, le soulageait. La lutte est plus aisée à l’homme qui ne voit pas le danger, ou qui le voit extrême, qu’à celui qui ne veut pas le courir inutilement ou qui le croit évitable. Avec ses amis, il ne conseillait pas, il commandait. En cas d’objection, ou bien il grondait, ou il cessait de répondre, comme il fit quand Mélancthon lui soumit ses doutes sur la question des traditions. Il interrompit de nouveau la correspondance, sitôt qu’au lieu d’injonctions, il eut à donner des explications. Luther ne pouvait pas ne point s’impatienter de tout scrupule. La chair et le sang l’empêchaient de comprendre les incertitudes d’un esprit modéré et pratique placé dans une circonstance où rien n’était mûr pour les dénouemens extrêmes, et où l’un des partis

  1. Lettres de Luther.