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toute une civilisation est la religion, que c’est elle qui donne à tous les arts d’une même société le même air de famille et d’alliance, en sorte qu’un seul d’entre eux étant connu, on pourrait, en quelque manière, retrouver tous les autres. D’où résulte cette loi générale, que les révolutions dans les arts sont déterminées par les révolutions dans les religions. Voulez-vous donc savoir en combien d’époques se partage l’histoire des arts, commencez par chercher combien il y a eu d’époques dans l’histoire des cultes, et vous aurez vous-mêmes répondu. Autant de fois a changé la figure sous laquelle l’homme s’est représenté la pensée de Dieu, autant de fois a changé son idéal dans les œuvres d’imitation. Aussi les phases principales du développement des religions vont-elles nous servir non-seulement à marquer les phases des révolutions dans les arts, mais à déterminer la nature de chacun d’eux.

Il faut cependant remarquer, avant tout, la différence de la foi et de la poésie, du culte et de l’art. Ce dernier, en réalisant par des formes palpables l’idée de Dieu, telle qu’elle est conçue par les peuples ou imposée par la tradition, l’altère et la transforme inévitablement. D’abord il se contente de copier les types consacrés par le sacerdoce. Il fait en quelque manière partie de la liturgie. Nulle liberté, nulle invention dans le choix ni dans la forme des objets représentés ; et plus la foi est profonde, plus l’artiste est asservi. Cependant peu à peu l’imagination se substitue à la coutume. Les formes se perfectionnent en acquérant plus de liberté. Le génie individuel se crée dans le sanctuaire même une croyance particulière ; il change, il innove à son gré ; il suit, au lieu de la voie des ancêtres, celle qu’il se fraie lui-même, en sorte que l’on peut établir que l’art ne grandit qu’aux dépens de la tradition, et que, né du culte, mais inclinant à l’hérésie, il tend lui-même à détruire son berceau.

Cela posé, la première époque des religions commence en Orient avec l’histoire civile des peuples de la haute Asie : panthéisme visible, infini matériel, culte de la nature, du Dieu-univers, de la création qui n’a point encore éprouvé la souveraineté de l’homme. Par quelle sorte d’art visible cette forme de religion pourra-t-elle être représentée ? Il faudrait découvrir un art qui pût s’élever à une certaine perfection sans que la figure de l’homme y laissât son empreinte. En est-il de semblable ? Un seul, l’architecture. En effet, ni les colonnes, ni les frontons, ni les portiques, ne sont formés sur le modèle de la figure humaine. Les chapiteaux rappelleront peut-être l’épanouissement des palmiers et des acanthes ; les obélisques, les pics de granit