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ne nous suffirait pas ; il n’est pas si facile qu’on le croit de corriger le monde de son antique passion pour la beauté. Il faudrait de plus que Dieu eût disparu de la nature et de la conscience des hommes comme un prêtre se retire du temple quand le culte est achevé. Est-ce là ce que vous pensez de Dieu ? Oh ! si tout cela est vrai, si tous les cœurs sont vides, même de regrets et de désirs, s’il n’y a plus de culte intérieur, plus de patrie, plus de cité, plus de foyers, plus de famille, plus de France, alors, oui, ils ont raison : l’art et la poésie sont dans le même sépulcre que l’état ! Le beau moral n’est plus qu’un leurre, et vous tous qui tentez encore d’en retrouver les vestiges, ou par le pinceau, ou par le ciseau, ou par la prose, ou par les vers, écrivains, artistes, sculpteurs, peintres, vous êtes les plus insensés des hommes ; pour toujours égarés, sans espoir de retrouver votre chemin, il ne vous reste qu’à vous asseoir à côté les uns des autres, sans plus rien imaginer, sans plus rien oser ; car il n’est point de peinture du vide, point d’architecture du néant, point de poésie de ce qui n’est pas, et la mort toute seule est incapable d’enfanter même un rêve dans le tombeau. Mais au contraire, si tout ce que je viens de dire est faux, s’il n’est pas vrai que cette société soit morte (et quelle hypothèse impie !), s’il n’est pas vrai que Dieu ait déserté le monde, tout est sauvé ; l’infini nous reste ; que vous faut-il de plus ? Au lieu d’être des insensés, ceux dont je parlais tout à l’heure, et qui tentent d’entretenir parmi nous la religion de la beauté, ceux-là ont pour eux l’éternelle raison. Ne nous hâtons donc pas de désespérer de l’avenir. Si la vie nous échappe, gardons-nous d’en médire. Surtout ne frustrons pas d’avance les nouveau-nés dans leurs berceaux. Qu’ils grandissent ! Ils feront ce que nous n’avons pas su faire.

Je reviens. Si tous les artistes de l’humanité tendent au même but, cette alliance est surtout évidente dans ceux qui appartiennent au même ordre de civilisation. Quelle que soit la différence des procédés, des instrumens, des moyens d’exécution, tous s’attachent dans le même temps à l’imitation du même modèle. Ne me demandez pas ici la définition du beau abstrait et souverain ; j’attendrais pour répondre que l’on m’eût donné celle de l’infini, de l’absolu, du vrai suprême. Ce qu’il y a de sûr, c’est que l’idéal des artistes n’est point une abstraction née dans les écoles de philosophie : c’est un dogme vivant, un rayon de la révélation universelle, un objet de foi, une tradition léguée par les ancêtres, et que la liberté de l’art corrige, embellit, ou dénature. En un mot, le culte, la religion nationale, voilà la forme visible de ce modèle invisible. Pour rendre cette vérité