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REVUE. — CHRONIQUE.

grace, don Carlos avait pour général en chef un homme que n’avait pas attiré vers lui le culte superstitieux de la légitimité, mais que l’ambition avait amené sous ses drapeaux ; un homme d’un caractère énergique, d’une grande habileté, et joignant à des passions vives une dissimulation profonde. Maroto, que jugera l’histoire, et qui rappelle un peu ces physionomies machiavéliques de la fin du XVe siècle, reconnut bientôt qu’avec don Carlos il n’y avait pas de succès possible, et qu’on ensanglanterait l’Espagne en pure perte. Ses rapports et ses conférences avec le général Harispe prouvent que dès 1836 il savait à quoi s’en tenir sur le caractère et l’entourage du prétendant, et sur l’issue de la lutte. Son plus vif désir eût été qu’une intervention française vînt lui offrir une occasion honorable de mettre bas les armes. Dès qu’il sentit qu’il fallait renoncer à l’espérance de voir finir la guerre civile par l’apparition du drapeau français, il résolut de terminer lui-même une insurrection qui lui parut coupable et insensée dès qu’il l’eut jugée impuissante. Il comprit qu’avec quelques moines il ne relèverait jamais la royauté de don Carlos ; il reconnut que les populations n’avaient jamais eu d’autre intérêt réel dans la lutte que le maintien de leurs franchises et de leurs fueros, et il prépara de longue main l’œuvre d’une pacification. Par le coup d’Estella, il ôta à don Carlos ses plus fidèles amis, et il l’avilit en lui arrachant l’approbation de sa sanglante conduite. Depuis cette époque, le prétendant ne voyait plus qu’en tremblant Maroto à ses côtés, il avait enfin deviné les dispositions secrètes de son général ; mais il n’osait pas le frapper, et, comme fasciné par son ascendant, il attendit son sort, sans rien tenter pour son salut ou sa vengeance. Maroto, qui avait ses soldats pour complices, put enfin signer avec le général en chef de l’armée constitutionnelle la pacification de son pays. Encore une fois, l’histoire prononcera en dernier ressort sur le caractère, les talens et l’action de ce général, qu’on prendrait volontiers pour un contemporain de Philippe II ; nous avons voulu seulement, au moment où tant de gens déclament à côté des faits, les rétablir et les expliquer.

Maintenant qu’elle est pacifiée, l’Espagne doit appeler nécessairement notre influence et notre commerce, quand elle n’aurait d’autre but que de payer moins cher les services de l’Angleterre, en lui opposant la concurrence de la France. Ce calcul politique n’a rien qui doive étonner ; c’est à nous d’en recueillir les fruits. Mais nous pouvons aussi compter sur les sympathies de l’Espagne ; sa population et ses hommes d’élite aiment la France. Son ambassadeur à Paris, M. de Miraflorès, est zélé pour les intérêts français, parce qu’il sent qu’ils se confondent avec ceux de son pays. Si un traité de commerce n’assure pas déjà des avantages particuliers à l’Angleterre, il faut peut-être en savoir gré à cet ambassadeur, lié avec quelques-uns des principaux partisans de la politique interventionniste. Si l’Espagne est habilement représentée à Paris, nous envoyons aussi à Madrid un diplomate tout-à-fait capable de nous servir, et il faut louer le cabinet du 12 mai du choix de M. de Rumigny. L’enthousiasme affectueux avec lequel a été accueilli dans les provinces espagnoles ce