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REVUE LITTÉRAIRE.

la bibliothèque de l’Arsenal, ne le montrent que comme un infatigable collecteur de curiosités littéraires et un copieur de pièces de société : pour en faire le moins du monde un poète, la note qu’ajoute M. Ackermann sur son compte est insuffisante. Dans le chapitre consacré au plus beau moment du XVIIe siècle, on s’étonne de trouver cité au long un madrigal agréable de La Sablière, et de voir Sénecé mis en ligne de compte pour le style tout auprès de Bayle et de Molière. Sénecé a publié un volume entier d’épigrammes, parmi lesquelles il y en a de bien tournées, mais il n’a jamais été considéré comme un écrivain sérieux, et lui-même tout le premier, dans une Épître au cardinal Fleury, s’est rendu très sévèrement cette justice. Je ne relève ces taches que parce que le travail de M. Ackermann se recommande en général par beaucoup d’attention dans les recherches et de justes indications. Comme il se montre d’ailleurs quelque peu rigoureux à l’égard d’écrivains célèbres, c’était un devoir pour lui de se maintenir plus irréprochable. Il s’élève avec raison contre le bel-esprit et la manière ; eh bien ! dans les simples petits sommaires où il mentionne les écrivains de chaque époque avec la date de leur naissance, il mettra Piis à côté de Louis XVIII, et Marat tout après Xavier de Maistre : j’appelle cela du bel-esprit en bibliographie, c’est-à-dire là où il est le moins bien placé. Qu’est-ce encore qu’ont à faire dans ces sommaires Gouffé, Francis, Fuite Debraux, Antignac et bien d’autres ? Gombault est né bien avant 1600. Voilà des critiques ; en ce qui concerne le temps présent, on en pourrait ajouter une ou deux autres encore : Béranger a beaucoup fait, mais il n’a pas rajeuni la langue poétique jusque dans ses entrailles. Il l’a rajeunie dans sa physionomie et sa surface, ce qui est beaucoup ; l’honneur ou le tort d’avoir attaqué les entrailles appartient à d’autres. L’Académie aujourd’hui a remplacé la cour, dit M. Ackermann, et il indique que c’est là désormais qu’il faut aller chercher le bon usage, en recommandant toutefois, même quand on fréquente les membres de l’Académie française, de choisir ses autorités. L’Académie est infiniment respectable, mais si vous en ôtez le secrétaire perpétuel et cinq ou six membres illustres desquels M. Ackermann, en un endroit, paraît trop méconnaître le plus grand, elle n’a rien remplacé du tout. Ces remarques contradictoires prouvent seulement le soin de lecture que provoque l’intéressant, le recommandable travail de M. Ackermann ; on ne lui passe rien, parce qu’on sent qu’avec lui on est aux prises avec un écrivain exact et scrupuleux. Un sentiment de moralité élevée domine ses pages et en anime par momens le ton. Protestant contre les excès qui déshonorent la littérature présente et en compromettent l’avenir, il dit en termes excellens : « Sont-ce des hommes chez qui est mort tout amour pour les enfans, pour l’épouse, pour la patrie, qui feront une langue saine, qui composeront des poèmes fortifians et doux au cœur, qui dans leurs écrits feront reluire la vérité ? »


Ch. Labitte.