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faire des œuvres de ce philosophe, dans une édition in-folio qu’il cite, et dont il possède probablement l’exemplaire unique[1]. On peut affirmer, par le chapitre de Hugues Capet, consacré au mouvement intellectuel du XIIe siècle, que M. Capefigue est étranger aux premières et plus simples notions du langage philosophique. Je n’en voudrais pour preuve que cette définition exquise du traité d’Aristote sur l’ame : « C’est une appréciation morale des facultés de l’esprit et des sensations intimes. » Après avoir prouvé, jusqu’à l’évidence, par tout cet imbroglio, son ignorance absolue de la terminologie scientifique, M. Capefigue n’hésite point à déclarer que l’excellent morceau de M. Cousin, à propos du Sic et Non, est tout simplement emphatique, et il ajoute : « Il y a eu une exploitation scientifique d’Abélard, comme il y en a eu une des communes. » En parlant de philosophie, M. Capefigue trouve moyen d’amener aussi une phrase contre M. Barthélemy Saint-Hilaire : « La Politique d’Aristote est un traité fort obscur ; on a voulu en vain faire quelque bruit d’une traduction récente : c’est un bourdonnement qui a bientôt cessé. » Je ne vois rien de plus naïf que cet aveu de l’obscurité de la Politique d’Aristote que M. Capefigue a probablement confondue avec la Métaphysique, qui n’est pas tout-à-fait semblable. Ce n’est pas d’ailleurs la seule chose que l’auteur ne comprenne pas. Ainsi, il trouve fort difficile à lire le Roman de Rou, de Wace[2], dont il fait un monument de la langue du XIe siècle, ce qui indique une profonde connaissance de la littérature romane.

Le livre intitulé Richelieu et Mazarin était précédé d’une lettre dédicatoire à M. le comte Molé, que M. Capefigue paraît avoir étrangement oubliée ; car je lis, dans son Hugues Capet, des phrases où respirent une urbanité si parfaite, un parfum de politesse si raffinée, que je rougirais de les extraire. Tout le monde y passe à son tour. Il n’y a pas eu de place dans Hugues Capet pour M. Thiers et M. Mignet[3] ; mais la couverture était une précieuse ressource, et M. Capefigue y a inséré le prospectus d’une Histoire du Consulat et de l’Empire, où l’on reconnaît sa manière attique : « Personne, pour l’histoire de la révolution, ne s’est élevé plus haut qu’aux bavardages des assemblées, aux petits bulletins de police et aux banalités de la rue. » Voilà la part de M. Thiers et de M. Mignet. « Il est déplorable de voir comment l’histoire de l’empire a été écrite ; rien n’a été consulté, ni les archives des cabinets étrangers, ni les actes de la diplomatie, ni l’esprit du temps. » Voilà la part de M. Bignon. « Des pièces recueillies auprès des hommes d’état de Londres, de Vienne, de Berlin et de Saint-Pétersbourg ; Napoléon pris comme un bronze antique, et non pas

  1. Ceci est de la force des Prophéties de Merlin, en trois vol.  in-fo.
  2. Que M. Capefigue écrit Vace, comme il écrit La Thaumassière et Lebœuf, comme il fait de Yves un nom latin (Yves Carnotensis) ; comme, en traduisant les énumérations des témoins dans les chartes, il estropie presque tous les noms.
  3. N’y aurait-il pas au fond, à l’égard de M. Mignet, une petite rancune de M. Capefigue, lequel, si nous sommes bien informé, n’a jamais été admis à puiser aux Archives des affaires étrangères, dont pourtant il a l’air de parler souvent ?