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LA MARINE MARCHANDE GRECQUE.

tout bénéfice. À cela il faut ajouter que, lorsque les affaires commerciales ne sont pas très actives, les navires qui sont obligés de rester dans le port ayant coûté le sixième de ce que coûtent les nôtres, n’occasionnent, à égalité de tonnage, qu’une perte en intérêt du sixième de celle que le manque d’emploi fait éprouver à nos navires.

Il faut à nos marins presque du comfortable, comparativement à ce que demandent les marins grecs. Que de fois, à Marseille, l’autorité chargée de veiller sur l’amarrage des navires, ayant enjoint à un capitaine grec de mouiller une seconde ancre, n’a pu être obéie, parce que cette ancre n’existait pas à bord ! Que disait alors le capitaine pour s’excuser ? Bastimento nuovo, signore ! Ce qui veut dire, le bâtiment n’a pas encore gagné son second câble et sa seconde ancre ; mais, au voyage prochain, il n’en sera pas ainsi. En effet, un navire hellène est un être qui commence sa vie comme il peut, qui s’habille, qui se nettoie, qui se meuble, à mesure qu’il gagne. Le premier voyage a-t-il été heureux, le navire achète un bon compas de route, des cartes des parages qu’il fréquente, peut-être même une embarcation neuve. Au second voyage, il changera ses voiles qui vieillissent et qui avaient déjà servi à un de ses frères mort avant qu’il fût né. Mais, pour cela, il faut marcher vite, il faut arriver avant les autres ; il peut se faire que les blés de la mer Noire baissent de prix à Marseille, à Livourne, à Gênes. Le navire doit donc se presser, filer jusqu’à douze nœuds, s’il veut qu’on le fasse beau, qu’on lui donne une couche de peinture, que l’on dore la figure blanche qui décore sa poulaine. Rien n’arrête le navire grec, il fait toujours plus de voiles qu’un autre. À bord, c’est un bruit incroyable, ce sont presque continuellement des cris échangés. Dans la plus simple explication, on crie comme dans une dispute ; tout le monde commande, parce que tout le monde est maître, plus ou moins, mais cela n’empêche pas le navire de gagner de vitesse ses concurrens sardes ou autrichiens. Un navire hellène, venant du Levant, se trouve-t-il entre la Sicile et Malte, il met le cap sur la dernière de ces îles, il entre dans le port de quarantaine, passe audacieusement et à toutes voiles entre les navires qui s’y trouvent mouillés ; il jette l’ancre, il s’informe du prix du blé dans l’île ; si ce prix lui offre un bénéfice, il vend ; si, au contraire, on lui dit que le dernier paquebot à vapeur français a porté des nouvelles favorables de Livourne et de Marseille, il demande vite de l’eau et quelquefois du pain. Une heure après, déployant ses voiles, se glissant avec la plus grande adresse entre les rangs de bâtimens à l’ancre, il quitte le port, gagne le large, et va à Livourne ou à Marseille.

Un navire français ne demanderait pas seulement de l’eau et du pain à Malte, il demanderait du vin, de la viande, que sais-je ? Le Grec a à son bord des figues sèches, une certaine quantité d’olives et du poisson salé ; avec cela, du pain et de l’eau, c’est tout ce qu’il lui faut. Le capitaine mange au même plat que les autres ; presque jamais de cuisine sur le pont, pas de provisions de bois, pas de viande salée, pas de volailles, pas de légumes à acheter, pas de meubles, pas de rideaux dans la chambre, pas de glaces, pas de vaisselle, pas de