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LA MARINE MARCHANDE GRECQUE.

compte maintenant quatre mille maisons, des églises, des hôpitaux et des écoles publiques dans lesquelles se réunissent quatorze à quinze cents enfans.

D’abord, on ne construisit que des cahutes, des barraques en planches où chacun se logea comme il put ; plus tard, on éleva, sans symétrie, sans alignement, sans règles de voirie, des maisons de pierre à un seul rez-de-chaussée et quelques moulins à vent ; tout cela formait un labyrinthe où il était assez difficile de retrouver sa route. À l’heure qu’il est, Syra renferme plusieurs rues pavées et propres, des maisons élégamment construites, des édifices publics remarquables. Elle est occupée, dans les momens de loisir que lui laissent les affaires, à se nettoyer, à se parer, à se donner enfin un air de bonne façon, comme font les gens qui s’enrichissent et qui veulent mettre leur tenue au niveau de leur fortune.

Cette île, si pauvre qu’elle ne valait peut-être pas la peine qu’un pirate s’éloignât de sa route pour l’aller piller, est devenue le centre du plus grand mouvement commercial de la Grèce ; mais elle n’a acquis tant d’importance qu’aux dépens d’autres ports parmi lesquels on doit placer Smyrne.

Smyrne était et est encore un des entrepôts les plus importans de l’Orient. Là arrivent des marchandises de la Perse et de l’Asie-Mineure, qu’on dirige ensuite sur l’Europe ; de là, les marchandises d’Europe s’écoulent dans une grande partie de l’Asie. Mais l’étendue de côtes que peut approvisionner économiquement Smyrne, est circonscrite entre Rhodes et les Dardanelles ; car Smyrne est trop avancée dans l’Orient pour qu’il y ait avantage à transporter jusque-là des marchandises destinées, soit pour Salonique, soit pour la Syrie.

Si des habitudes, si l’amour du pays n’avaient pas retenu dans leur île si belle les négocians de Scio, dont l’habileté commerciale est célèbre, ils auraient dû nécessairement songer beaucoup plus tôt à porter leurs comptoirs et leur industrie au centre de la courbe sur le développement de laquelle on trouve Salonique, la Cavalle, l’entrée des Dardanelles, Scio, Samos, Rhodes et Candie, c’est-à-dire toutes les portes du Levant sur la Méditerranée.

Ce centre maritime eût été sans doute mieux placé géographiquement à Andros, à Tyne ou à Myconi, surtout à Andros, car ces îles sont comme les vedettes des Cyclades vers la Turquie. Mais la première des conditions à remplir pour l’île où aurait dû se concentrer le commerce était d’avoir un port commode, et ni Myconi, ni Tyne, ni Andros, n’offraient cet avantage. Il ne restait donc plus que Délos et Syra. Délos avait un port magnifique, et Délos était plus près que Syra de la côte d’Asie ; mais la différence entre ces deux îles n’était guère que de quatre à cinq lieues, et ce n’était pas la peine de renoncer à Syra, qui se trouvait plus que Délos sur la route des navires qui vont à Smyrne, à Constantinople et à Salonique, et sur la route de ceux qui en reviennent.

Eh bien ! ce que l’intérêt du commerce aurait dû faire, la guerre, les massacres, les incendies, d’un côté, et la protection française, de l’autre, ont mieux réussi à l’accomplir que le calcul et la libre volonté de l’homme. En