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LA TERREUR EN BRETAGNE.

tonnerre. Dans ce moment, le soleil parut derrière les collines et inonda la forêt de ses lueurs.

Rien ne nous retenait plus ; on courut chercher une civière, on la couvrit de ramée, et l’on y déposa les restes de La Rouërie pour les porter au château. Au moment où il passait devant moi, je fus saisi d’une sorte de tristesse : — Voilà donc à quoi avaient conduit tant d’intrigues habiles, tant de souffrances supportées avec courage, tant de dispositions longuement combinées ! De toutes ces espérances si soigneusement arrosées de sueur et de sang, aucune n’avait pu percer la terre, et cet homme, qui avait compté refaire une monarchie, n’avait pas même pu obtenir une bière pour son cadavre ! Qu’était-ce donc, mon Dieu, que la puissance individuelle, et que pouvaient attendre les partis qui avaient pour eux des conspirateurs et non la nécessité ?

Je m’étais arrêté rêveur ; je sentis une main s’appuyer sur mon épaule.

— À quoi penses-tu, citoyen ? me demanda Morillon.

— Je pense, répondis-je, que cet homme a creusé la terre avec ses ongles pendant trois années, qu’il a apporté de la poudre grain à grain, qu’il a dérobé, à force de patience, une étincelle au soleil, et que, lorsqu’il ne lui restait plus qu’à mettre le feu à sa mine, il est mort de la fièvre comme un enfant.

— Heureusement, me répondit le commissaire, car cette mort sauve peut-être la république : quand les royalistes la connaîtront, le désordre se mettra dans leurs rangs ; toutes leurs espérances et tous leurs projets sont là désormais avec cette pourriture. Aussi, ce n’est pas le cadavre d’un homme que tu vois emporter, citoyen, c’est celui de la guerre civile.


Émile Souvestre.