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même, où il s’était réfugié sous le nom de Gasselin, que La Rouërie avait été atteint de la maladie à laquelle il avait succombé.

— C’était un homme à vivre toujours, nous dit Étienne ; mais, depuis plus d’une année, il n’avait guère vécu que dans les carrières abandonnées, buvant l’eau du Douves, mangeant du pain noir et couchant sur le gravier. La fièvre le prit ici tout d’un coup, et il tomba dans le délire ; c’est moi qui le gardais : il se croyait au milieu de la bataille, et il criait de tuer les bleus. Ils tremblaient tous au château, car, si l’on était venu alors de Lamballe, pour faire une perquisition, il les eût perdus. Cela dura trois jours et trois nuits. Enfin, quand on vit le dernier soir qu’il agonisait, M. de La Guyomarais fit creuser une fosse d’avance. On l’y porta encore chaud avec tous ses papiers. Je replaçai moi-même le gazon, pour qu’on ne se doutât de rien, et le lendemain, les enfans du fermier étaient là, assis dessus, à faire des chapelets de marguerites.

— Et tu dis qu’on a enterré avec lui des papiers ? demanda Morillon.

— Ils sont enfermés dans une boîte de verre.

— Au pied de cet arbre ?

— Au pied de cet arbre.

— Alors, qu’on apporte ce qu’il faut pour y creuser.

On courut chercher des pioches et des pelles. Le jardinier dirigea lui-même le travail. Après avoir enlevé quelques terres, on sentit de la résistance. Il recommanda alors d’avancer plus doucement ; une masse confuse commençait déjà à apparaître, on la dégagea avec précaution ; les lambeaux de linceul furent écartés, et l’on reconnut enfin un cadavre. La boîte de verre dont avait parlé le paysan, fut trouvée à ses pieds. Le citoyen Morillon se retira à l’écart avec le juge de paix et le syndic, pour prendre connaissance de ce qu’elle contenait : nous les vîmes bientôt revenir.

— Victoire ! s’écria Morillon ; ces papiers sont les rôles de l’insurrection projetée et la correspondance secrète de La Rouërie avec les corps d’émigrés réunis dans les îles anglaises[1]. Maintenant, citoyens, la patrie n’a plus rien à craindre ; mort aux traîtres et vive la république !

— Vive la république ! crièrent toutes les voix.

Et, comme si ce cri eût réveillé des échos, on l’entendit se répéter, de sentinelle en sentinelle, jusqu’au château, où il éclata comme un

  1. Jersey et Guernesey.