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Il résulte de là que les fils sont, en effet, plus faibles ; car ces filamens brisés, lorsqu’on les superpose les uns aux autres dans le tordage, adhèrent moins fortement que des filamens entiers : il en résulte encore que les toiles fabriquées avec ces fils présentent à l’œil et au toucher quelque chose de cotonneux ; peut-être aussi qu’elles mollissent à la lessive, et enfin qu’elles se couvrent de petits boutons perceptibles au toucher. Cependant le premier de ces inconvéniens est fort atténué par un meilleur tordage, et par la régularité même des fils ; car c’est dans les endroits plus faibles que les fils se rompent. Quant aux autres, nous croyons qu’ils subsistent, sans nier pourtant que la perfection du travail et le bon choix de la matière première ne puissent y remédier jusqu’à un certain point.

C’est pour cette raison que jamais la mécanique ne pourra, quoi qu’en ait dit un écrivain anglais, remplacer certains produits de l’ancien filage, tels, par exemple, que nos batistes. Outre leur finesse, que l’on égalera peut-être un jour, les batistes se recommandent précisément par toutes les qualités contraires aux défauts que nous venons de signaler. Pour les fabriquer, on choisit parmi les lins ramés les tiges les plus hautes, et de ces tiges on détache les brins tout à la fois les plus fins et les plus longs. C’est avec le produit de ce triage, appelé lin de fin, qu’on forme les fils pour la batiste. La longueur du filament est donc ici une qualité essentiellement requise, à tel point que l’une des conditions de la perfection pour ce genre de toiles est que chaque filament y règne dans toute la longueur du tissu. C’est là ce qui donne aux batistes cette netteté, ce lustre, ce poli qui les distinguent. C’est là ce qui fait qu’elles glissent sous la main, comme ferait une mèche de lin soigneusement peignée dans sa longueur. C’est à cela qu’elles doivent encore leur souplesse, leur élasticité, et, malgré leur finesse, leur force indestructible. Évidemment la mécanique ne tend pas là. C’est par des qualités tout autres que ses produits se recommandent. Elle doit renoncer à remplacer jamais la batiste. Elle le peut d’ailleurs sans regret ; car la batiste, malgré sa richesse, ou plutôt à cause de cette richesse même, est un produit de peu d’importance, parce que l’usage en est infiniment borné.

Malgré ces inconvéniens partiels, dont nulle chose humaine n’est exempte, la mécanique n’en offre pas moins des produits supérieurs, à tout prendre, à la majeure partie de ce qu’on fabriquait auparavant, et, ce qui tranche irrésistiblement la question en sa faveur, c’est l’avantage du bon marché, pour lequel l’ancienne fabrication ne saurait entrer en lutte avec elle.

L’économie produite par la nouvelle filature serait fort difficile à déterminer. C’est un fait qui, pour le moment, échappe à toute appréciation exacte. Les filateurs anglais ne se sont pas toujours réglés dans leurs ventes sur les prix de revient, et il est impossible d’apprécier les bénéfices de leur fabrication. Eux-mêmes seraient fort embarrassés d’ailleurs de marquer la différence exacte du revient, faute d’un point de comparaison fixe et bien établi. On ne peut donc en juger que par des résultats éloignés.

Dans le temps de leurs premières expéditions pour la France, par exemple