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LÉLIA.

désaccord avec tout, et mon ame crie au sein de la création comme une corde qui se brise au milieu des mélodies triomphantes d’un instrument sacré. Si le ciel est calme, il me semble revêtir un Dieu inflexible, étranger à mes désirs et à mes besoins. Si l’orage bouleverse les élémens, je vois en eux comme en moi la souffrance inutile, les cris inexaucés !

Oh ! oui ! oui, hélas ! le désespoir règne, et la souffrance et la plainte émanent de tous les pores de la création. Cette vague se tord sur la grève en gémissant, ce vent pleure lamentablement dans la forêt. Tous ces arbres qui se plient et qui se relèvent pour retomber encore sous le fouet de la tempête, subissent une torture effroyable. Il y a un être malheureux, maudit, un être immense, terrible et tel que ce monde où nous vivons ne peut le contenir. Cet être invisible est dans tout, et sa voix remplit l’espace d’un éternel sanglot. Prisonnier dans l’immensité, il s’agite, il se débat, il frappe sa tête et ses épaules aux confins du ciel et de la terre. Il ne peut les franchir ; tout le serre, tout l’écrase, tout le maudit, tout le brise, tout le hait. Quel est-il et d’où vient-il ? Est-ce l’ange rebelle qui fut chassé de l’empyrée, et ce monde est-il l’enfer qui lui sert de cachot ? Est-ce toi, force que nous sentons et que nous voyons ? Est-ce vous, colère et désespoir qui vous révélez à nos sens, et que nos sens reçoivent de vous ? Est-ce toi, rage éternelle qui bruis sur nos têtes et roules dans nos cieux ? Est-ce toi, esprit inconnu, mais sensible, qui es le maître ou le ministre, ou l’esclave ou le tyran, ou le geôlier ou le martyr ! Combien de fois j’ai senti ton vol ardent sur ma tête ! combien de fois ta voix est venue arracher mes larmes sympathiques du fond de mes entrailles et les faire couler comme le torrent des montagnes ou la pluie du ciel ! Quand tu es en moi, j’entends ta voix qui me crie : « Tu souffres, tu souffres… » Et moi, je voudrais t’embrasser et pleurer sur ton sein puissant ; il me semble que ma douleur est infinie comme la tienne, et qu’il te faut ma souffrance pour compléter ta plainte éloquente. Et moi aussi, je m’écrie : « Tu souffres, tu souffres… ; » mais tu passes, tu fuis ; tu t’apaises ou tu t’endors. Un rayon de la lune dissipe tes nuages, la moindre étoile qui brille derrière ton linceul semble rire de ta misère et te réduire au silence. Il me semble parfois voir ton spectre tomber dans une rafale, comme un aigle immense dont les ailes couvriraient toute la mer et dont le dernier cri s’éteindrait au sein des flots ; et je vois que tu es vaincu, vaincu comme moi, faible comme moi, terrassé comme moi. Le ciel s’éclaire et s’illumine des feux de la joie, et une sorte de terreur stu-