Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/884

Cette page a été validée par deux contributeurs.
864
REVUE DES DEUX MONDES.

impie dans la terre consacrée aux sépultures des Camaldules, infraction aux lois de l’église, qui refusent la sépulture en terre sainte aux athées décédés de mort volontaire ; infraction aux règles monastiques, qui n’admettent pas la sépulture des hommes dans l’enceinte réservée aux tombes des vierges.

À ce dernier chef d’accusation, Lélia connut d’où partait le coup dont elle était frappée. Elle n’en douta plus lorsque, appelée à rendre compte de sa conduite devant ses sombres juges, elle se vit confrontée avec Magnus. Toutes ces turpitudes lui causèrent un tel dégoût, qu’elle se refusa à toute interrogation, et n’essaya pas de se justifier. Magnus était si tremblant devant elle, qu’en face de juges intègres le trouble de l’accusateur et le calme de l’accusée eussent suffi pour éclairer les consciences ; mais la sentence était portée d’avance, et les débats n’avaient lieu que pour la forme. Lélia sentit dans son cœur trop de mépris pour accuser Magnus à son tour ; elle se contenta de lui dire, en le voyant chanceler et s’appuyer sur les bras du familier du saint-office : « Rassure-toi, la terre ne s’entr’ouvrira pas sous tes pieds ; ton supplice sera dans ton cœur. Ne crains pas que je te rende blessure pour blessure, outrage pour outrage. Va, misérable, je te plains ; je sais à quelles lâches terreurs tu obéis en me calomniant. Va te cacher à tous les yeux, toi qui espères gagner le ciel en commettant l’iniquité ; que Dieu t’éclaire et te pardonne comme je te pardonne moi-même ! » Lélia fut accusée aussi par deux de ses religieuses qui l’avaient toujours haïe à cause de son amour pour la justice, et qui espéraient prendre sa place. Elles l’accusèrent d’avoir eu des relations avec les carbonari, et d’avoir aidé, conjointement avec le cardinal, à l’évasion du féroce et impie Valmarina. Enfin, elles lui firent un crime d’avoir disposé avec une prodigalité insensée des richesses du couvent, et d’avoir, dans une année de disette, fait vendre des vases d’or et des effets précieux dépendant du trésor de leur église, pour soulager la misère des habitans de la contrée. Interrogée sur ce fait, Lélia répondit en souriant qu’elle se déclarait coupable.

Elle fut condamnée à être dégradée de sa dignité en présence de toute sa communauté. On attira autant de monde qu’on put à ce spectacle, mais peu de personnes s’y rendirent, et celles que la curiosité y poussa, s’en retournèrent émues profondément de la dignité calme avec laquelle l’abbesse, soumise à ces affronts, les reçut d’un air à faire pâlir ceux qui les lui infligeaient.

Elle fut ensuite reléguée dans une chartreuse ruinée que la communauté des Camaldules possédait dans le nord des montagnes, et