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LÉLIA.

ton de commandement qui pétrifia et domina toute la communauté, démentit cet ordre et fit continuer la cérémonie. « Madame, dit-elle tout bas à la supérieure qui voulait insister, je ne suis point une enfant ; je vous prie de croire que je sais garder ma dignité moi-même. Vous avez voulu me donner en spectacle. Laissez-moi achever mon rôle. »

Elle s’avança au milieu du chœur où elle devait chanter une prière adoptée par le rituel. Quatre jeunes filles se préparèrent à l’accompagner avec des harpes. Mais, au moment d’entonner cet hymne, soit que sa mémoire vînt à la trahir, soit qu’elle cédât à l’inspiration, Lélia ôta l’instrument des mains d’une des joueuses de harpe, et, s’accompagnant elle-même, improvisa un chant sublime sur ces paroles du cantique de la Captivité :

« Nous nous sommes assises auprès des fleuves de Babylone, et nous y avons pleuré, nous souvenant de Sion.

« Et nous avons suspendu nos harpes aux saules du rivage.

« Quand ceux qui nous avaient emmenées en captivité nous ont demandé des paroles de cantique, et de les réjouir du son de nos harpes, en nous disant : « Chantez-nous quelque chose des cantiques de Sion, » nous leur avons répondu :

« Comment chanterions-nous le cantique de l’Éternel sur une terre étrangère ?

« Si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite s’oublie elle-même !

« Que ma langue soit attachée à mon palais, si je ne me souviens de toi à jamais, et si je ne fais de Jérusalem l’unique sujet de ma réjouissance.

« Ô Éternel ! tes filles se souviendront de leurs autels et de leurs bocages auprès des arbres verts sur les hautes collines !

« Babylone, qui vas être détruite, puisses-tu ne pas souffrir le mal que tu nous as fait !

« C’est pourquoi, vous, femmes, écoutez la parole de l’Éternel, et que votre cœur reçoive la parole de sa bouche. Enseignez vos filles à se lamenter, et que chacune apprenne à sa compagne à faire des complaintes… Car la mort est montée par nos fenêtres, elle s’est logée dans nos demeures… Qu’elles se hâtent, qu’elles prononcent à haute voix une lamentation sur nous, et que nos yeux se fondent en pleurs, et que nos paupières fassent ruisseler des larmes ! »