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sage, la professe, sortant du chapitre, entra dans l’église, un murmure inexprimable d’émotion et de curiosité s’éleva de toutes parts. Un mouvement d’oscillation tumultueuse fut imprimé à la multitude, et toutes ces têtes, que Trenmor dominait de sa place, ondulèrent comme des flots. Des archers, aux ordres du prélat qui présidait à la cérémonie, rangés sur deux files, protégeaient la marche lente de la professe. Elle s’avançait, accompagnée d’un vieux prêtre chargé du rôle de tuteur, et d’une matrone laïque, symbole de mère, conduisant sa fille au céleste hyménée.

Elle monta majestueusement les degrés de l’autel. Le patriarche, revêtu de ses habits pontificaux, l’attendait, assis sur une sorte de trône adossé au maître-autel. Les parens putatifs restèrent debout dans une attitude craintive, et la professe, ensevelie sous ses voiles blancs, s’agenouilla devant le prince de l’église.

« Vous qui vous présentez devant le ministre du Très-Haut, quel est votre nom ? » dit le pontife d’une voix grave et sonore, comme pour inviter la professe à répondre du même ton, et à proclamer son nom devant l’auditoire palpitant.

La professe se leva, et, détachant l’agrafe d’or qui retenait son voile sur son front, tous les voiles tombèrent à ses pieds, et sous l’éclatant costume d’une princesse de la terre parée pour un jour de noces, sous les flots noirs d’une magnifique chevelure tressée de perles et nouée de diamans, sous les plis nombreux d’une gaze d’argent semée de blancs camélias, on vit rayonner le front et se dresser la taille superbe de la femme la plus belle et la plus riche de la contrée. Ceux qui, placés derrière elle, ne la reconnaissaient encore qu’à ses larges épaules de neige et à son port impérial, doutaient et se regardaient avec surprise ; et, dans cette avide attente, un tel silence planait sur l’assemblée, qu’on eût entendu l’imperceptible travail de la flamme consumant la cire odorante des flambeaux.

« Je suis Lélia d’Almovar, » dit la professe d’une voix forte et vibrante, qui semblait vouloir tirer de leur sommeil éternel les morts ensevelis dans l’église.

« Êtes-vous fille, femme ou veuve ? demanda le pontife.

— Je ne suis ni fille, ni femme selon les expressions adoptées et les lois instituées par les hommes, répondit-elle d’une voix encore plus ferme. Devant Dieu, je suis veuve. »

À cet aveu sincère et hardi, les prêtres se troublèrent, et dans le fond du chœur on eût pu voir les nonnes éperdues se voiler la face ou s’interroger l’une l’autre, espérant avoir mal entendu.