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LES MARBRES D’ÉGINE.

péremptoire. Les Grecs ont-ils jamais représenté un fait contemporain au front d’un monument religieux ? Une telle supposition n’est-elle pas contradictoire non-seulement avec leur esprit, mais avec l’essence même de toute religion ? Les autres objections que j’ai à présenter contre l’hypothèse de M. Mueller ne sauraient être comprises que lorsque j’aurai donné la description des marbres d’Égine.

Examinées dans leur ensemble, ces statues offrent d’abord aux yeux un mouvement extraordinaire d’inflexions, et d’attitudes. Winckelmann, qui a appelé angulaire l’école de Phidias, aurait réservé ce nom pour celle d’Égine, s’il en avait connu les œuvres ; il l’aurait donné d’autant plus justement à celle-ci que l’agitation des figures qu’elle a produites n’exclut pas une certaine raideur causée précisément par la brusque section de leurs lignes. Quant aux personnes qui pourraient penser que l’art grec n’est qu’une dérivation de l’art oriental, elles auraient de longues réflexions à faire sur ces fragmens ; quoiqu’ils appartiennent à une époque voisine de l’invasion présumée des formes immobiles de l’Égypte, ils présentent effectivement plus de turbulence et de vie que les ouvrages qui s’éloignent davantage du temps où les types étrangers ont pu servir de modèle aux artistes grecs. Le second caractère distinctif de ces morceaux, c’est le contraste surprenant de l’imbécillité des têtes avec le beau travail des corps ; le visage semble être la partie traditionnelle, hiératique, inaltérablement reproduite par l’art éginétique. La figure que Smilis et ses successeurs inconnus avaient donnée à leurs statues de bois, leurs descendans semblaient la donner encore aux marbres de Paros ; c’était surtout dans une meilleure imitation des corps que ceux-ci se permettaient de dévier des anciens exemples, et de témoigner de leur propre supériorité. Ils étaient bien obligés, pour accorder l’expression antique des figures avec la nouveauté des corps, d’adoucir un peu les angles des premières, et d’atténuer les arêtes aiguës qui en marquaient les traits et les contours : mais pour que la beauté des corps fît aussi la moitié des concessions nécessaires à l’harmonie de l’ensemble, ils leur avaient conservé une maigreur qui les rapprochait de la sécheresse du visage. L’espèce d’animalité qu’offrent les airs de tête vient-elle de ce que les artistes primitifs avaient eu l’intention de copier la nature, et n’y avaient que grossièrement réussi avec des moyens grossiers, ou bien de ce qu’ils s’étaient forgé un idéal particulier, en rapport avec leurs croyances, et religieusement transmis à leurs successeurs comme un dépôt sacré ? C’est une grave question que nous ne pouvons pas encore résoudre. Quant à la par-