Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/84

Cette page a été validée par deux contributeurs.
80
REVUE DES DEUX MONDES.

qui s’est perfectionnée si vite et d’une manière si remarquable en France, cet exemple, qui est peut-être unique dans notre histoire industrielle, loin d’ébranler notre assertion, lui donne un singulier appui. L’industrie du sucre indigène n’a pas été, plus que les autres, protégée par la loi contre l’exportation de ses procédés ; mais des circonstances tout-à-fait particulières ont suppléé pour elle à cette lacune. Ce n’était pas contre les industries des autres pays de l’Europe qu’elle avait à lutter, mais contre l’industrie coloniale. Or, les colons, ne tirant pas le sucre de la même plante que les fabricans de la métropole, ne pouvaient en aucun sens se servir des mêmes procédés. Toutes les découvertes faites en France étaient donc sans application pour eux et demeuraient forcément le privilége commun des fabricans français. À le bien prendre, ceci rentre dans le cas de la non-exportation des machines. Une seule fois donc, et grace à des circonstances exceptionnelles, les fabricans français se trouvèrent dans une position semblable à celle que la loi anglaise crée pour les fabricans anglais ; cette fois aussi ils imitèrent leur conduite, et malgré les tracas auxquels leur industrie fut constamment en butte, et la perpétuelle incertitude de leur avenir, ils obtinrent des résultats équivalens. Que l’on réfléchisse sur cet exemple, qu’on veuille bien le rapprocher des observations qui précèdent, et qu’on nous dise ensuite s’il ne tranche pas la question d’une manière souveraine et décisive.

Cette digression, que nous n’avons pas cru étrangère à notre sujet, nous a conduit un peu loin. Hâtons-nous de reprendre notre récit.

C’est en 1831 ou 1832 que le système de la filature mécanique du lin est arrivé en Angleterre à son point de maturité. Dès les années précédentes, il avait déjà produit de beaux résultats, et dans la suite il s’est encore perfectionné dans les parties accessoires ; mais à cette époque on pouvait le considérer comme achevé.

Il serait curieux de pouvoir suivre pas à pas le progrès des découvertes qui l’ont amené à cet état, de rapporter les dates des inventions successives, d’enregistrer les noms de leurs auteurs ; mais à cet égard les données manquent. Quoique ces découvertes soient beaucoup plus récentes que celles qui se rapportent à la fabrication du coton, leur histoire est plus obscure, et plusieurs causes contribuent à cette obscurité : le soin que les Anglais ont toujours pris de dérober leurs machines aux regards des curieux ; la complication même du système, qui se compose d’un bien plus grand nombre de pièces que celui des métiers à filer le coton, et enfin le concours des travaux qui ont préparé ou avancé la tâche. Nous avons vu, en effet, que tout cela est le fruit d’une élaboration commune. Quelques machines, il est vrai, portent le nom de leurs inventeurs ; mais ce ne sont ni les plus importantes, ni les meilleures : telles sont, par exemple, les peigneuses de Peeters, de Robinson et de Wordsworth. Nous avons nommé tout à l’heure deux hommes, MM. de Girard et Marshall, que nous regardons comme les promoteurs ou les principaux agens de cette révolution. À ces deux noms, nous croirons pouvoir dans la suite en associer un