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LES MARBRES D’ÉGINE.

Ainsi, de ce point imperceptible qui s’appelle Égine, est sortie toute la race des héros qui ont préludé aux grandeurs politiques de la Grèce. Tous ces grands hommes portent le nom général d’Éacides ; leurs images sont déposées dans les temples d’Égine, et ont la réputation de rendre les Éginètes indomptables. La veille de la bataille de Salamine, les Grecs envoient prendre les images des Éacides pour les porter au combat, et les Grecs sont vainqueurs. Je répète que M. Mueller ne donne le nom d’Éacides qu’aux descendans de Pélée ; il exclut de cette glorieuse participation Télamon et ses fils. Philoxène le lyrique avait écrit une généalogie des Éacides qui aurait tranché tous les doutes, mais qui malheureusement est perdue. Cependant on trouve encore dans Pindare des armes pour combattre l’opinion du savant professeur de Gœttingue ; enfin l’antiquité tout entière s’accorda à donner le nom d’Éacide à Miltiade, qui descendait d’Ajax, et dont il faut ajouter le nom à la liste des héros éginètes.

Le nom d’Hercule, qui avait ému les Grecs avant la guerre de Troie, vint encore les agiter après qu’ils se furent rassis à leurs foyers. Les descendans de ce héros, chassé de son pays par un sort commun à tous les bienfaiteurs de l’humanité, voulurent y reconquérir les droits de leur aïeul. Ils allèrent chercher du secours dans cette Thessalie qu’on peut appeler la Scandinavie grecque ; ils y trouvèrent une population rude et religieuse qui avait conservé, au milieu de ses montagnes, avec une austère fidélité, les traditions primitives du génie grec déjà altéré par les Achéens et par les Ioniens dans la vie plus aventureuse des côtes. Des colonies étaient arrivées à Thèbes de la Phénicie ; à Athènes et dans le Péloponèse de l’Égypte. Sur leurs plateaux reculés, les Doriens n’avaient point subi l’influence de la civilisation des peuples étrangers ; ayant les Héraclides à leur tête, ils descendirent de leur solitude, renversèrent sur leur passage les puissances établies et vinrent renouveler en Grèce l’esprit indigène qui s’y énervait : ainsi on nous peint Charlemagne arrachant la France aux torpeurs des Mérovingiens par une nouvelle infusion de sang germain.

M. Mueller indique à peine l’origine et les développemens de l’invasion dorienne ; on sent qu’il réserve déjà avec soin ses richesses pour le grand ouvrage auquel sa réputation est attachée et qui restera, nous le croyons, comme un des plus beaux travaux de notre siècle. Après avoir expliqué avec un rare bonheur, d’après un texte presque insaisissable, une ligue amphictyonique fondée dans la petite île de Calaurie, par toutes les puissances insulaires contre les