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LES MARBRES D’ÉGINE.

quoi a-t-on émis des opinions si contradictoires à leur égard ? C’est probablement parce qu’on les a étudiés, en des temps différens, d’une manière toute contraire, et sur des monumens divers. Rien n’est plus fatal que les notions incomplètes ; l’homme abandonné à ses instincts est plus sûr de ne pas se tromper que celui dont les lumières naturelles sont traversées par des connaissances insuffisantes. Les modèles qu’on puise dans le passé veulent être vus à leur place, dans leur époque, entourés de leurs précédens et de leurs conséquences ; si on néglige de les comparer à ce qui s’est fait, avant et après leur création, il est impossible d’avoir une idée juste du point de leur perfection et de la valeur particulière de leur beauté. Winckelmann avait admirablement compris cela ; aussi est-ce sous la forme de l’histoire qu’il a présenté ses théories esthétiques.

Cependant, c’est en son nom et en croyant développer sa thèse, qu’on a émis, au sujet des Grecs, les opinions les plus propres à faire prendre le change sur leur génie. N’ayant vu l’antiquité qu’à Rome, Winckelmann n’a pu admirer que les œuvres de la troisième et de la quatrième époque de l’art, c’est-à-dire celles où la grace l’emporte sur la force et sur la majesté, et qui ont véritablement donné le signal de la décadence. Il est facile néanmoins de se convaincre que son esprit élevé assigna la première place aux productions de la sculpture antique qui lui restèrent inconnues, et dont il eut seulement une intuition sommaire et des témoignages incomplets. Les contours accusés, le dessin dur et ressenti des écoles primitives excitaient en lui un enthousiasme dont son livre offre des marques nombreuses ; et quant à la seconde époque, celle de Phidias et de Scopas, on peut juger de l’estime qu’il en fait, par les noms de grande et sublime école qu’il lui donne. Malheureusement, par l’effet d’une réserve qu’on devrait imiter davantage, il n’a cité pour exemples que les morceaux qu’il avait sous les yeux ; et, comme ceux-ci étaient presque tous du temps de Praxitèle, ses disciples ont cru que c’étaient là les modèles qu’il voulait offrir à l’imitation des modernes. La plupart des académies de l’Europe ont long-temps vécu sur ces fausses idées ; la grace de l’Apollon du Belvédère leur paraissait être la plus haute expression de l’art, et Phidias n’était guère pour elles qu’un sublime inconnu qu’elles adoraient sur la foi de l’antiquité, tout en le soupçonnant au fond de l’ame d’un peu de barbarie.

C’est donc parce qu’elle est incomplète, que l’histoire de Winckelmann a enfanté ces préjugés ; si elle cite Phidias avec les éloges les moins douteux, ce n’est toutefois qu’en passant et en un seul para-