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DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

sonnages le plus long-temps noircis par ses injures d’une popularité toute fraîche et toute virginale. On agit alors par la presse sur le parlement, au lieu d’agir par le parlement sur la presse ; on se tapit dans ses journaux comme Arachnée au centre de sa toile, on en fait mouvoir de sa main tous les fils, on y prépare ses embûches, on y enveloppe ses ennemis de mailles mouvantes et légères.

Cette suprématie de la presse sur les pouvoirs constitués est chose complètement inconnue chez vous. Si vos Revues ont mission de préparer, par des travaux soutenus, la solution des grandes questions économiques et constitutionnelles ; si, à cet égard, elles devancent et stimulent le parlement, vos journaux quotidiens ne sont que des auxiliaires à la suite. Ils répètent les débats de vos chambres, assaisonnent d’injures la polémique des orateurs ; ils reflètent l’opinion du parti qui les gage et ne font à coup sûr celle de personne. Pas un homme d’état n’a eu en Angleterre la pensée d’arriver au pouvoir par les journaux, et de gouverner par leur influence.

Nos écrivains polémistes auraient droit, à coup sûr, de signaler comme injurieuse autant qu’injuste toute assimilation aux rédacteurs obscurs et inconnus de vos feuilles les mieux établies. Aussi n’entends-je formuler en ceci aucune accusation contre la presse française. Elle a trouvé la place vide et s’efforce de la prendre, rien n’est plus simple. La sécurité bien ou mal fondée des intérêts a produit une anarchie politique dont elle profite pour mettre à prix ses services et grandir son importance, rien n’est plus simple encore. Ne vous placez jamais, de grace, à votre point de vue habituel pour juger une situation qui doit être prise sur le fait.

Nous n’avons jamais eu rien d’analogue à ces grandes et régulières divisions en tête desquelles figurent depuis longues années, et resteront leur vie durant, sir Robert Peel et lord John Russel, l’un remontant, par Canning, Castlereagh et William Pitt, jusqu’à la fondation du torysme, l’autre pouvant présenter au sein de sa propre maison une suite de traditions politiques non interrompues pendant deux siècles. Aucun de nos chefs parlementaires n’a exercé dans aucun temps cette autorité en vertu de laquelle un leader parle, agit et stipule, non pas seulement pour ses collègues au sein de la représentation nationale, mais encore pour la masse des intérêts moraux et matériels groupée derrière eux dans les trois royaumes. Cependant, si nous ne possédions rien de comparable à vos deux écoles constitutionnelles, nous possédions jusqu’à présent des partis ardens et vivaces qui, tout en manquant d’un principe intime de hiérarchie,