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dégage, sans qu’un intérêt politique y trouve satisfaction, dans les proportions et avec le caractère d’une véritable journée des dupes.

Quand on songe que des embarras sinon aussi graves, du moins analogues se révèlent à toutes les crises ministérielles, et que celles-ci se produisent à des intervalles de plus en plus rapprochés, avec la périodicité d’une sorte de fièvre réglée ; lorsqu’on découvre jusqu’à la dernière évidence que les difficultés du gouvernement représentatif gisent bien moins désormais dans l’ardeur des passions politiques que dans les susceptibilités des hommes, de telle sorte que les exigences personnelles créent des obstacles plus sérieux que les exigences des partis, il est impossible de ne pas comprendre qu’il y a ici quelque chose de tout nouveau, sans précédent dans les pays libres et surtout dans le vôtre.

Il me sera permis de dire, je pense, sans ravaler mes contemporains, que, depuis l’avénement de Guillaume III, l’Angleterre a compté de plus grands hommes. Remontez cependant à ses temps les plus difficiles, depuis les jours de la reine Anne jusqu’à la régence orageuse de George III ; soit que la Grande-Bretagne se débatte contre la puissance de Louis XIV, soit qu’elle lutte un demi-siècle en Écosse contre une dynastie nationale, ou durant deux siècles en Irlande contre tout un peuple opprimé ; qu’elle traverse le règne d’une femme incertaine dans ses conseils et mobile dans ses affections, celui d’un vieux roi en démence ou d’une jeune fille de dix-huit ans, héritant de la réforme et appelée à la continuer, vous chercheriez vainement dans ses annales un exemple de ces difficultés journalières qui sortent pour nous de l’impossibilité de concilier les prétentions rivales et d’associer d’une manière durable les personnages même les moins séparés par leurs dissidences politiques. Les deux Pitt seraient des pygmées auprès de nos hommes d’état, si l’on mesurait les uns et les autres aux embarras qu’ils ont causés.

Chose vraiment étrange ! ces embarras augmentent pendant que le niveau de toutes les individualités s’abaisse ; jamais les hommes n’ont moins pesé dans l’opinion, et jamais il n’a été plus difficile de composer avec eux ! Et qu’on ne croie pas expliquer ceci en insultant à la génération actuelle, en disant que l’ambition et l’immoralité sont aujourd’hui sans limite. Le triste fonds de la nature humaine, je le crois du moins pour mon compte, ne varie guère de siècle en siècle. Nos temps valent, croyez-le bien, ceux de votre Charles II, et les choses saintes sont plus respectées de nos jours qu’au siècle de Collins et de Tyndal ; je ne crois nos personnages