Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/809

Cette page a été validée par deux contributeurs.
789
DU GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF EN FRANCE.

entière, sans m’interdire ces aperçus vagues et lointains, qui ne seraient ni convenables ni mûrs pour une assemblée délibérante. La presse sérieuse et réfléchie doit être l’avant-garde et l’éclaireur de la tribune : c’est ainsi que vous le concevez si bien chez vous.

Pourquoi dissimuler en commençant un sentiment qui se produit confusément aujourd’hui dans les intelligences élevées et jusqu’au sein des masses ; pourquoi ne pas avouer qu’en effet la foi publique est ébranlée dans l’ensemble du mécanisme constitutionnel, et que les principes du gouvernement représentatif, tel qu’il a été défini et pratiqué jusqu’ici, cessent d’être applicables à notre situation ? Une chambre élective où se concentre non pas seulement l’initiative politique, mais la totalité de l’action gouvernementale ; une autre assemblée, dont les attributions sont nominales, et dont le titre imposant semble une amère ironie ; une royauté engagée dans une sorte de lutte personnelle, moins contre un système défini que contre les chefs de diverses fractions parlementaires : ce n’est pas là le gouvernement des trois pouvoirs se pondérant l’un par l’autre. Chacun voit cela à la première vue ; mais ce qui se voit moins nettement, c’est le caractère propre à un gouvernement qui, malgré l’omnipotence attribuée à l’un des élémens qui le composent, ne parvient pas à imprimer aux affaires une impulsion décidée, même dans le sens de l’intérêt qu’il représente, ne dessine nettement aucune idée, ne poursuit aucun plan, et s’avance de velléités en velléités, j’allais dire de contraditions en contraditions, jusqu’à une trop manifeste impuissance.

Voyez, en effet, monsieur, sur quel terrain mouvant l’on marche en ce pays-ci ! Tout le monde, assure-t-on, y veut être ministre, et voilà que le pouvoir a récemment été près de trois mois en intérim, sans que personne osât ou pût le prendre. Nulle dissidence vraiment sérieuse, on le verra plus tard, ne sépare les hommes auxquels incombaient les portefeuilles vacans ; pas une passion politique ne les divise, pas un intérêt général n’est engagé dans leurs querelles, et pourtant ils ne sauraient, après deux mortels mois d’efforts, s’accorder pour posséder ensemble l’objet de leur plus vive ambition ! Mais voici un symptôme plus significatif encore : il se trouve qu’après d’interminables négociations, les chefs politiques dont les noms paraissaient exprimer au moins la pensée des partis, sont tous écartés du pouvoir, où les disciples s’installent sans les maîtres, de telle sorte qu’un vaste mouvement dont s’émut le pays tout entier, qui sépara les plus vieux amis et réunit des adversaires réputés inconciliables, s’achève aussi confusément qu’il commença, sans qu’une idée s’en