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DÉPÊCHES DU DUC DE WELLINGTON.

sortir que rarement de ma maison, à cause des créanciers qui m’assiégent publiquement pour demander le paiement de ce qui leur est dû. Quelques-uns des muletiers n’ont pas été payés depuis vingt-six mois, et hier j’ai été obligé de leur donner des bons sur la trésorerie pour une partie de leurs paiemens ; autrement, il eût fallu renoncer à leurs services. Ces bills seront, je crois, immédiatement cédés, avec une dépréciation de change, aux requins qui attendent ces gens à Passage et dans cette ville, et qui profitent de la détresse publique. J’ai quelques raisons de croire que les bruyantes réclamations qui ont lieu, se font à l’instigation de marchands anglais. »

Il n’y a rien à ajouter à un pareil tableau, et quelques généraux de nos grandes guerres vont bien rire en lisant les lignes où le général anglais se peint au milieu des créanciers de l’armée, et se cachant dans sa maison pour échapper à leur poursuite. Mais il ne faut pas oublier le système du duc de Wellington. Il avait à donner l’exemple à deux armées commandées par des officiers qui eussent profité du moindre relâchement de leur chef, pour se porter aux plus grands désordres. Des ordres du jour d’une rigueur presque excessive, où quelquefois il flétrissait la conduite des officiers espagnols et portugais, avaient imprimé une saine terreur à ses subordonnés. Sa conduite était sans doute tracée par ces antécédens ; mais il faut dire en même temps qu’elle était aussi conforme à l’esprit d’équité qui a marqué partout en général les actes de son commandement. On en a cité de curieux exemples.

Le duc de Wellington ne connaît pas l’enthousiasme. Il suffit de l’avoir vu quelques momens pour se convaincre de cette vérité. L’inflexibilité de ses traits se reproduit tout entière dans sa conduite, et on ne l’a jamais vu entraîné jusqu’à l’ardeur, même par le désir de faire dominer ses convictions. Mais la raison parle en lui un langage si décisif, qu’il a rarement manqué le but qu’il se proposait, soit en écrivant aux ministres, soit en prenant la parole dans le parlement. C’est à ce point qu’à l’époque où l’on discuta un bill sur la discipline de l’armée, bill qui fut précédé d’une enquête, le duc de Wellington parla pour le maintien du châtiment du bâton dans l’armée anglaise, et en fit probablement sentir la nécessité, puisque le parlement se rangea à son avis. Cette pensée sèche, rude et ferme, qui triomphe du sentiment de l’humanité la plus vulgaire, ce goût du devoir qui écarte, dans un homme doux et modéré, tous les mouvemens du cœur, ont garanti le duc de Wellington de toutes les grandes fautes qu’il était facile de commettre dans sa situation. Il est vrai qu’il