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faire obéir les troupes anglaises, et il est impossible de ne pas suivre avec un vif intérêt la lutte qu’il soutenait chaque jour en faveur de l’ordre contre les soldats espagnols et portugais qu’il appelait avec raison « les plus grands pillards du monde, » et en même temps contre leurs chefs, qui n’avaient ni la force, ni la volonté de les réprimer. C’est surtout dès qu’il entre en France que le duc de Wellington s’occupe sans relâche d’empêcher la dévastation du pays. Presque toutes ses dépêches, à cette époque, prescrivent des mesures contre ces funestes dispositions de son armée. « Dites au général Longa, écrit-il en français à son lieutenant, le général Wimpfen, que je suis très mécontent de sa troupe pour avoir pillé Ascain la nuit du 10, comme elle l’a fait. Je le prie de faire mettre sous les arrêts le commandant et tous les autres officiers de cette troupe qui étaient à Ascain, et je leur ferai faire leur procès pour avoir désobéi à mes ordres. » Et il ajoute encore, au bas de la même lettre : « On vient de me faire un rapport que les troupes de Longa pillent et brûlent partout le pays. Un a été attrapé que je fais pendre, et je ferai pendre tous ceux que j’attraperai. »

La fermeté, la vigueur du duc de Wellington étaient bien nécessaires. Il entrait en France après une longue campagne dans laquelle il avait été secondé par deux armées qui s’avançaient altérées de vengeance, et qui se croyaient en droit d’exercer de terribles représailles. Les généraux espagnols et portugais, placés sous ses ordres, avaient promis le pillage de la France à leurs soldats, et un grand nombre de familles dans la Péninsule n’avaient envoyé leurs enfans à l’armée que dans l’espoir de se dédommager, par leurs mains, des maux qu’elles avaient soufferts par suite de l’occupation française. Si le duc de Wellington s’était borné à faire pendre les maraudeurs et les pillards, ses alliés se seraient bientôt soulevés contre lui, et toute sa fermeté n’eût pas sauvé l’armée anglaise de l’irritation que ne pouvaient manquer de produire ces rigoureuses mesures. La plupart des généraux espagnols haïssaient les Anglais, et se seraient félicités de leurs désastres autant que de ceux des armées françaises. Aussi, dès le passage des frontières de France, le duc de Wellington ne quitte plus la plume, et c’est à peine si l’on peut concevoir comment il fait pour entretenir une si active correspondance au milieu des opérations militaires dont il ne pouvait se dispenser. Je choisis parmi toutes ses lettres celle qu’il écrivit au général Manuel Freyre en français, comme il avait coutume de faire quand il s’adressait aux généraux espagnols. Elle montre l’homme tout entier. Cette lettre