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SALERNE ET PŒSTUM.

gloire de les protéger ; mais il nous semble qu’avec ce bizarre système de permission, ce ne sont pas les artistes que l’on protége, mais les monumens qu’on protége contre les artistes, supposant sans doute plus de puissance de destruction à leur crayon qu’à la hache du Vandale ou au cimeterre du Sarrasin.

Une petite plaine couverte de joncs et de ronces, et, par places, de buissons de myrtes, d’églantiers en fleurs, rejetons dégénérés de ces rosiers de Pœstum qui fleurissaient deux fois l’an, s’étend des murailles de la ville jusqu’à la mer. Cette plaine est arrosée ou plutôt infectée par un ruisseau qui descend des montagnes de Carpaccio, et qui, longeant les murs de la ville, vient se perdre dans des dunes au bord de la mer. Ce ruisseau, qui se divise en une infinité de bras, forme, par places, de petits étangs d’eau fangeuse et croupie, dont les rives fourmillent de reptiles de toute espèce, mais surtout de serpens noirs, très agiles et d’assez grandes dimensions. J’avais mis pied à terre, et plusieurs fois je vis quelques-uns de ces reptiles, de quatre à cinq pieds de long, glisser rapidement entre les joncs et les herbages, et se perdre dans le fourré des broussailles. Leur fuite était si rapide, qu’il me fut impossible d’en atteindre un seul. Les balbusards, et une espèce d’aigle pêcheur au plumage fauve, fort commun sur toutes ces plages, leur font une guerre acharnée. Je fus témoin d’un combat entre un de ces oiseaux et un serpent qu’il venait de saisir entre ses serres, et je me rappelai ces vers du poète :

Comme on voit cet oiseau qui porte le tonnerre,
Blessé par un serpent élancé de la terre,
Il s’envole, il emporte au séjour azuré
L’ennemi tortueux dont il est entouré.
..............
Il le presse, il le tient sous ses ongles vainqueurs ;
Par cent coups redoublés il venge ses douleurs.
Le monstre en expirant se débat, se replie ;
Il exhale en poisons les restes de sa vie,
Et l’aigle tout sanglant, fier et victorieux,
Le rejette en fureur et plane au haut des cieux.

Homère ne fait point planer l’aigle au haut des cieux, il le fait voler vers le soleil, et cependant je ne reconnais pas, à ce dernier et magnifique coup de pinceau, la vérité de touche et la naïveté d’un peintre primitif ; loin de voler vers le soleil, l’aigle redescend sur la terre et dévore son ennemi expirant.

La plaine de Pœstum aboutit, du côté de la mer, à des dunes couvertes de grosses touffes de genets d’un jaune éclatant. Derrière ces dunes s’allonge à perte de vue une magnifique plage, d’un sable fin et doré. On a peine à croire qu’un si beau rivage soit l’un des lieux les plus insalubres de la terre. Une grosse tour lombarde, bâtie à l’embouchure de la rivière de Pœstum, est le seul édifice qu’on trouve sur cette plage. Cette vieille tour occupe sans doute l’emplacement de l’ancien port de Possidonia que les sables auront comblé et