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SALERNE ET PŒSTUM.

mation sauvage. Quelques-uns de ces animaux étaient plongés dans l’eau bourbeuse jusqu’aux narines ; on eût dit des hippopotames au bord d’un fleuve africain. À quelques milles au-dessus de la Scaffa et au-delà du confluent du Sele et de la Calone, de grands bois couvrent la plaine et revêtent les premières pentes du mont Alburno ; c’est la forêt de Persano, refuge accoutumé des brigands de la principauté citérieure et la plus belle des chasses royales. Gio le Calabrois est le dernier des brigands de quelque renom qui ait choisi la forêt de Persano pour théâtre de ses prouesses. Gio était la terreur des habitans d’Eboli et d’Altavilla ; il avait commis plusieurs meurtres ; mais son adresse et son audace étaient si grandes, que jamais les carabiniers n’avaient pu le saisir. Le chef de la police de Salerne mit alors sa tête à prix, et ce furent trois paysans d’Albanello qui le vendirent. L’un de ces paysans l’avait connu lorsqu’il gardait les troupeaux d’un fermier d’Ogliocastro, et il lui avait plusieurs fois apporté des vivres que le brigand lui payait généreusement ; du reste, jamais Gio ne buvait de vin et ne mangeait de pain sans en avoir fait préalablement goûter à ceux qui les lui apportaient. Il n’y avait donc pas moyen de l’empoisonner, ni même de mêler des narcotiques à ses alimens. Les paysans d’Albanello jouèrent donc avec lui au plus fin, et voici le moyen qu’ils employèrent pour se rendre maîtres de sa personne. Ils firent cacher six carabiniers dans l’une des premières maisons d’Albanello. Gio traversait souvent ce village, mais il était trop prudent pour s’y arrêter ; il aimait de passion le jeu du disque, et, quand il était de bonne humeur, il faisait volontiers la partie avec ceux qu’il rencontrait. Nos gens allèrent ce jour-là au-devant de lui tout en jouant ; Gio ne manqua pas de se mêler de la partie ; ceux-ci l’accueillirent avec joie et eurent soin de s’adosser au village. Puis, quand le jeu fut bien en train, l’un d’eux, qui était fort adroit, lança, comme par hasard, le disque dans la cour de la maison où les carabiniers étaient embusqués. Gio, dans l’ardeur du jeu, se précipita dans cette cour pour ramasser le disque, mais à peine était-il entré, qu’un des paysans poussa brusquement la porte et l’enferma ; tandis que Gio s’efforçait de l’enfoncer, les carabiniers accoururent et se précipitèrent sur lui. Le brigand, en se défendant, en blessa un mortellement, mais il fut contraint de céder au nombre et de se laisser garotter. Il fut exécuté à Salerne un jour de marché.

Au-delà du Sele, on fait encore plusieurs milles à travers des plaines incultes à l’extrémité desquelles on aperçoit, à l’horizon, les temples de Pœstum, dont la masse brune se dessine sur l’azur des montagnes d’Ogliocastro. Peu à peu ces temples grandissent, leurs colonnades se détachent du fond obscur, et l’on reconnaît des monumens grecs. Arrivé dans l’enceinte de la ville, j’ai été fort désappointé en voyant que l’on avait choisi une partie de cet emplacement pour établir une ferme. Cette ferme et les cabarets construits dans le voisinage des temples nuisent beaucoup au premier effet de ces belles ruines. Des monumens de ce genre ont surtout besoin de solitude, et les mendians, aubergistes, custodes, guides, fiévreux, vendeurs de médailles et de terres cuites, qui vous entourent et vous assiégent aussitôt que vous avez mis pied à