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SALERNE ET PŒSTUM.

le rivage couvert de morts. Leur fuite fut si prompte, qu’ils ne purent même remporter les trésors qu’ils avaient débarqués.

La joie des Salernitains ainsi délivrés se conçoit aisément ; la reconnaissance de Gaimard, leur prince, ne connut pas de bornes ; il combla de riches présens ses libérateurs, et, malgré ses offres brillantes, n’ayant pu les fixer à sa cour, il fit charger le navire qui devait les reconduire dans leur pays d’étoffes d’or et de soie, de harnais précieux et des fruits les plus délicieux de la contrée : oranges, grenades, dattes et limons. Le navire chargé de ces fruits du midi, dont les gens du nord étaient si avides, causa la ruine de la dynastie lombarde de Salerne ; ce fut l’appât qui attira vers le sud de l’Italie ces nombreuses migrations normandes qui, sous la conduite de Drengot et du fils de Tancrède de Hauteville, s’emparèrent de l’héritage des Lombards, firent en moins d’un siècle la conquête de la Pouille, des Calabres et de la Sicile, et menacèrent même l’empire de Constantinople.

On fait remonter la fondation du port de Salerne à Jean de Procida, citoyen de Salerne, seigneur de Procida, l’ami de Manfred et le fameux conspirateur des vêpres siciliennes. Ce port, qui n’est abrité que d’un seul côté par une jetée de peu d’étendue, ne peut recevoir de bâtimens de fort tonnage. Il offre si peu de sûreté que, lorsque le temps est mauvais, les petits bâtimens qui s’y trouvent mouillés, misticks, trabacoles ou tartanes, se font hisser, à l’aide de cabestans, sur la grève qui est fort belle.

Salerne n’acquiert quelque importance commerciale qu’au moment de sa foire, qui a lieu en septembre. Cette foire y attire un grand concours d’étrangers, et le beau quai qui borde la mer, déjà si animé en tout temps, est alors couvert de boutiques et d’une foule compacte et affairée. Ce marché met en mouvement toute la ville et fait de chacun de ses habitans autant de spéculateurs ; les rez-de-chaussée de chaque maison sont convertis en magasins, et les étages supérieurs en auberges ; les îles de l’Adriatique, la Sicile, l’Archipel et tous les ports de la Méditerranée, de Marseille à Reggio, ont des représentans à cette foire. Ils viennent échanger leurs denrées, sucres, épiceries, étoffes, quincailleries, contre les soies, l’huile et le vin de Salerne, de Naples et de toute la contrée voisine.

Nous renvoyons les amateurs de poésie populaire à la description qu’a laissée Peresio[1] d’une de ces foires italiennes. C’est le tableau peint d’après nature de la foire de Salerne et de toutes les autres

Mon hôte de Salerne, ancien officier de la garde impériale, établi dans cette ville depuis nombre d’années, me faisait une statistique curieuse des habitués de la foire de Salerne. Dix mille marchands et acheteurs, dix mille curieux et dix mille mendians s’y réunissent chaque année, me disait-il. Les mendians sont ceux qui font les meilleures affaires, car ils cumulent : ils mendient et

  1. Maggio Romanesco, le Mât de Cocagne romain, imprimé en 1688 en dialecte romain.