Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/703

Cette page a été validée par deux contributeurs.
699
SALERNE ET PŒSTUM.

La cathédrale, construite sous les princes normands, est gothique, mais cependant d’une architecture fort différente de celle des cathédrales de Caen, de Saint-Lô ou de Coutances, et ne rappelle que d’une manière fort détournée l’art normand. Il est vrai que les réparations que l’on y a faites dans les derniers siècles, ont dû fort altérer son caractère primitif ; car ces réparations équivalent, pour certaines parties, à une réédification totale. Ainsi l’arc des voûtes a été sensiblement altéré ; l’ogive obtuse et à large base a remplacé l’ogive élancée ; enfin les groupes des légères colonnes qui soutenaient les voûtes de la nef, ont été engagées dans un massif carré de pierres et de plâtre d’une disgracieuse lourdeur.

Néanmoins cette église est encore fort curieuse, à cause de la grande quantité de marbres précieux qu’elle contient, et qui la plupart ont été enlevés par les Normands ses fondateurs aux édifices de Pœstum. La belle cour d’entrée en forme de cloître qui s’étend en avant de l’église, est décorée par les plus remarquables de ces débris antiques. Ce sont de nombreuses colonnes d’un fort beau galbe qui soutiennent les arcades du cloître, plusieurs sarcophages sculptés, dont quelques-uns sont des meilleurs temps de l’art, et un grand nombre de bas-reliefs et d’inscriptions incrustées dans ses murailles. La plupart des colonnes en marbre qui ornent les chapelles latérales de l’église ont été aussi dérobées à des temples antiques, peut-être au temple romain dont on a depuis peu (1830) découvert les fondemens à Pœstum.

De nombreuses variétés de marbres ornent les murailles de l’église dans lesquelles on les a plus ou moins heureusement incrustés. Ces marbres proviennent, sans aucun doute, de la même source. Les arabesques d’un dessin tourmenté et retraçant une foule d’objets bizarres, fleurs, fruits, animaux monstrueux, sont exécutées dans la manière du dernier siècle. On est désolé de voir de si précieux matériaux employés avec autant de mauvais goût. Les moins détestables de ces incrustations sont d’une époque plus reculée. Toujours est-il que l’on a prodigué les porphyres rouges, verts et bruns, les marbres rouges, jaunes et fleuris, les brèches roses, violettes, dorées et œil de paon, et une foule d’autres matériaux de prix, albâtres, granits lumachelles, le tout pour décorer les deux tiers des murailles de l’église d’une espèce de marqueterie en style rococo.

La crypte de l’église, soutenue par une forêt de colonnes antiques, toutes différentes les unes des autres, renferme les reliques de saint Mathieu, auquel le dôme a été consacré. Ces reliques sont cachées sous une espèce d’autel grillé et cadenassé comme un coffre-fort ; en effet, vers les XIIe et XIIIe siècles, les voleurs s’attaquaient de préférence aux reliques, assurés qu’ils étaient de faire d’abord une excellente affaire, et d’être ensuite absous de leur larcin par l’acquéreur de la relique volée.

C’est dans l’une des chapelles latérales de la cathédrale de Salerne qu’est placé le tombeau du fameux Hildebrand, qui vint mourir dans cette ville le 25 mai 1085, après avoir fait brûler une moitié de l’ancienne Rome, c’est-à-dire la partie qui s’étendait de Saint-Jean-de-Latran au Colysée, par Robert