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SALERNE ET PŒSTUM.

En revanche, de l’autre côté du golfe de Naples, au pied de ces montagnes qui s’étendent de Salerne au promontoire de Minerve (punta della Campanella), le pays est l’un des plus beaux qu’on puisse voir, soit qu’on parcoure les rivages de la mer de Castellamare au piano de Sorrente, des îles de Caprée et des Syrènes à Amalfi et à Salerne, soit que, pénétrant au cœur des montagnes, on explore les riches et populeuses bourgades de Gragnano, de Nocera et de la Cava, ou les sites alpestres de l’antique Ravello et du mont Santo-Angelo.

Cet admirable pays offre encore un autre genre d’intérêt. Là, comme sur la côte de Baia et de Pouzzole, ou comme au pied du Vésuve à Pompeïa et à Herculanum, les peuples qui se sont succédé ont laissé partout des traces de leur passage. Ce ne sont plus cependant des ruines grecques ou romaines que nous trouvons à étudier, ce sont des ruines et une histoire plus récentes, et qui n’en ont pas moins leur célébrité, des ruines lombardes, moresques et normandes, l’histoire de ces peuples conquérans et celle plus intéressante encore de la république d’Amalfi.

Lorsque l’on a traversé Portici, ce magnifique et ennuyeux faubourg de Naples, et toutes ces bourgades qui, le pied dans la mer, forment à la base du Vésuve une ceinture de blanches maisons, on franchit le Sarno, et l’on arrive à une jolie ville dont les maisons, carrées et sans toits, s’étagent au pied de collines aiguës revêtues de verdure de leur base à leur sommet, et couronnées de tours élancées. Cette ville, c’est Nocera, Nocera des Païens (de Pagani). Il y a six siècles que ce nom a été donné à l’antique Nuceria, et voici à quelle occasion.

Frédéric II, ce grand et bizarre monarque, qui régna trente ans comme empereur, trente-huit ans comme roi de Germanie, et cinquante-deux ans comme roi des Deux-Siciles ; ce prince athée, qui combattit le pape et passa cinq ans de sa vie à solliciter son pardon ; cet excommunié, qui conquit Jérusalem, et qui, sous le poids de l’interdit, ne put trouver un prêtre pour célébrer une messe d’actions de graces dans la ville conquise, et pour placer sur sa tête la couronne de son nouveau royaume ; Frédéric, avant de passer en Palestine, avait reconquis sur les Sarrasins la Sicile, alors l’une des plus riches provinces du royaume de Naples. Retranchés dans les montagnes du centre de l’île, les plus déterminés de ces Africains, que les historiens du temps appellent à tort des barbares, menaçaient toujours les villes du littoral ; Frédéric leur offrit de riches domaines dans ses états de terre ferme, s’ils voulaient faire leur soumission et lui prêter un nouveau serment de fidélité. Beaucoup d’entre eux acceptèrent sur-le-champ les offres de l’empereur, et furent transportés à Luceria, dans la Pouille. Frédéric, que les auteurs du temps accusent de sympathie pour ces infidèles, tint religieusement la parole qu’il leur avait donnée. Les Sarrasins restés dans l’île, encouragés par cet exemple, ne tardèrent pas à se soumettre aux mêmes conditions, et furent à leur tour transportés à Nuceria ou Nocera, dans la riche vallée du Sarno : cette ville prit dès-lors le nom de Nocera des païens.