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DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE.

bientôt l’éloigner ou ne s’y ouvrir qu’avec précaution. Cette littérature en un mot, qu’on est fâché d’avoir tant de fois à nommer industrielle quand on sait quels noms s’y trouvent mêlés, a eu le vouloir et les instrumens d’innovation, les capitaux et les talens, elle a toujours tout gaspillé : l’idée morale était absente, même la moindre ; la cupidité égoïste d’un chacun portait bientôt ruine à l’ensemble.

Pourtant, à chaque reprise de tentative, c’est pour tous ceux qui aiment encore profondément les lettres le moment de veiller. De nos jours le bas fond remonte sans cesse, et devient vite le niveau commun, le reste s’écroulant ou s’abaissant. Le mal sans doute ne date pas d’aujourd’hui ; mais tout est dans la mesure, et aujourd’hui on la comble. Les ressources sont grandes, mais elles tournent aisément en sens contraire si on ne les rallie. Entrez dans les bibliothèques : quelle émulation ardente ! que de jeunes gens étudient, et dans une bonne direction, ce semble ! Mais qu’il faut peu de chose à travers ces nobles efforts pour les faire dévier et avorter ! Il est donc urgent que tous les hommes honnêtes se tiennent, chacun d’abord dans sa propre dignité (on le peut toujours), et entre eux, autant qu’il se pourra et quel que soit le point de départ, par des convenances fidèles et une intelligence sympathique. C’est le cas surtout de retrouver le courage d’esprit et de savoir braver. Que cette littérature industrielle existe, mais qu’elle rentre dans son lit et ne le creuse qu’avec lenteur : il ne tend que trop naturellement à s’agrandir. Pour conclure : deux littératures coexistent dans une proportion bien inégale et coexisteront de plus en plus, mêlées entre elles comme le bien et le mal en ce monde, confondues jusqu’au jour du jugement : tâchons d’avancer et de mûrir ce jugement en dégageant la bonne et en limitant l’autre avec fermeté.


Sainte-Beuve