Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/691

Cette page a été validée par deux contributeurs.
687
DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE.

comité permanent, veilleront pour lui et plaideront son intérêt. Rien de mieux jusque-là. Il y a toujours à prendre garde cependant de trop aliéner les droits de l’individu dans le pouvoir du comité. Si en traitant, par exemple, avec chaque membre de la société, un éditeur se trouvait avoir affaire à une société plus réellement propriétaire de ses œuvres à quelques égards que lui-même, ce serait un inconvénient, une entrave, une vraie servitude. Si une Revue (pour préciser encore mieux), qui paie un article à un auteur, se trouvait presque aussitôt dépossédée de cet article par quelque journal payant tribut régulier de reproduction à cet auteur, ce serait une piquante façon d’être leurré : on serait contrefait à bout portant, à l’aide de ce qui aurait été fondé précisément contre la contrefaçon. Mais je laisse là ces questions, qui appartiennent au plus subtil du code de commerce ; je ne sais jusqu’où la légalité s’en accommodera ; les tribunaux, mis en demeure de prononcer dans quelques cas, paraissent jusqu’ici peu y condescendre, et les vieux juges, ouvrant de grands yeux, n’y entendent rien du tout. On conçoit cependant, je le répète, une société de gens de lettres s’entendant de leur mieux pour s’assurer le plus grand salaire possible de leurs veilles, si leur force unie se contient dans des termes d’équité et ne va jamais jusqu’à la coaction envers les éditeurs : car il ne faudrait pas tomber ici dans rien qui rappelât les coalitions d’ouvriers ; on a bien crié contre la camaraderie, ceci est déjà du compagnonnage.

Premier résultat moral pourtant. Quelle que soit la légitimité stricte du fond, n’est-il pas triste pour les lettres en général que leur condition matérielle et leur préoccupation besogneuse en viennent à ce degré d’organisation et de publicité ? Je m’étais figuré toujours, pour ce qu’on appelle la propriété littéraire, quelque chose de plus simple. On écrit, on achève un livre ; on traite de la vente avec un libraire ; on remplit ses conditions et lui les siennes ; après quoi l’on rentre dans sa propriété. Si l’on est contrefait en Belgique dans l’intervalle, malheur et honneur ! Le libraire n’est pas d’ailleurs tout-à-fait sans l’avoir prévu. Au lieu d’un livre, est-ce de simples articles qu’on écrit : on traite avec un journal, on remplit mutuellement ses conditions. Si l’on est contrefait, copié par une feuille voleuse, c’est l’affaire du journal de défendre son bien, et de poursuivre, s’il lui plaît. L’auteur reste dans l’ignorance de ce détail et se lave les mains du procès. C’est là sans doute une économie politique bien élémentaire et bien mesquine en fait de propriété littéraire : elle doit faire pitié à bien des illustres ; il y a particulièrement de quoi faire hausser