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de volumes gros de matière et à bon marché[1]. Mais sans prétendre diminuer l’idée du tort immense qu’apporte la contrefaçon extérieure, on n’y peut rien directement : il faudrait là une intervention de gouvernement, une négociation internationale. On fait bien d’appeler et de provoquer l’attention du pouvoir sur ce point ; le pouvoir a fait semblant de s’en occuper, comme il fera toujours désormais de ce qui lui sera déféré avec bruit et grand concert d’intérêts en souffrance : mais tout s’est borné à des démonstrations. Qu’on le pousse toutefois, qu’on le prêche et qu’on l’édifie là-dessus, s’il y a moyen : rien de mieux, et, avec de la constance et quelque cinquante ans de lutte, nos Wilberforce, qui ont comparé la contrefaçon étrangère à la traite des nègres, pourront l’emporter. Mais, encore un coup, il n’y a rien là sur quoi l’on ait prise immédiate, et cela est si vrai que la société récemment fondée à l’occasion même du débat, la Société des Gens de Lettres, après avoir posé le principe général, a dû appliquer son activité vers des détails plus intérieurs.

L’idée première de cette société est due à un écrivain d’esprit, M. Desnoyers, qui a su conserver dans la mêlée la plus active des intentions droites et des habitudes élevées de caractère. Dans ce que je me permettrai de dire de l’association naissante, je m’enquerrai moins de son objet positif et financier que des conséquences littéraires probables et de certains abus (il s’en glisse partout, et surtout dans les corps) qui pourraient s’entrevoir déjà. Rien de plus légitime assurément que des gens de lettres s’associant pour s’entendre de leurs intérêts matériels et s’y éclairer. À défaut de la contrefaçon étrangère qu’on ne peut atteindre, il y a des manières de contrefaçon à l’intérieur, sinon pour les livres, du moins pour les feuilletons : il y a des journaux voleurs qui vous citent et vous copient. Quelques auteurs entichés pourraient s’en trouver purement et simplement flattés ; de plus aguerris et de plus stricts useraient du droit de répression, requérant en justice dommages et intérêts ; le plus sûr et le plus fructueux est d’amener par transaction ces journaux à payer tribut pour leur reproduction, et à s’abonner, en quelque sorte, à vous. Régulariser en un mot ce genre de contrefaçon à l’intérieur, voilà un résultat. Comme l’homme de lettres isolé a peu de force, de loisir, et souvent peu d’entente de ces chicanes, un agent spécial, un

  1. Le succès de la petite Bibliothèque du libraire Charpentier prouve que de bons livres remplis et peu chers garderaient toutes chances : et encore n’a-t-on pas toujours été scrupuleux dans les choix.