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DE L’INDUSTRIE LINIÈRE.

l’Angleterre n’était pas destinée à devenir le principal siége de l’industrie linière.

Cette vérité semble même avoir été si bien comprise dans le pays, que le gouvernement ne s’y est jamais occupé que d’une manière secondaire de la fabrication des fils et des tissus de lin, sa principale attention ayant été constamment tournée vers le développement de l’industrie vraiment nationale de la manufacture des laines. On trouve bien, à la vérité, dans les anciens actes publics, quelques témoignages d’intérêt pour les producteurs de toiles ; mais ce sont des actes isolés, qui n’ont pas le caractère d’une politique suivie, et qui prouvent seulement que l’industrie linière, féconde de sa nature, avait des racines partout.

Un acte plus décisif, qui n’appartient pas seulement au gouvernement anglais, mais à la nation elle-même, montre mieux quelle fut à cet égard sa pensée dominante, en même temps qu’il témoigne du despotisme exercé par elle sur la malheureuse Irlande. Nous laissons parler un écrivain anglais : « Vers la fin du XVIIe siècle, dit-il, la fabrication de la toile fut encouragée en Irlande par un acte d’oppression parlementaire que, de nos jours, l’opinion publique couvrirait certainement de réprobation. Alarmés des progrès que faisait en ce pays la manufacture de laines, les marchands de laine d’Angleterre sollicitèrent Guillaume III, par l’intermédiaire du parlement, de supprimer les fabriques de l’Irlande. Le roi, en réponse à leur pétition, prit l’engagement suivant : « Je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour entraver le développement de l’industrie des laines en Irlande, et pour y encourager la fabrication des toiles, afin de faire fleurir le commerce d’Angleterre. » Et ce ne fut pas une vaine promesse : un acte du parlement interdit bientôt à l’Irlande l’exportation de ses lainages, excepté pour les ports d’Angleterre ; exception qui ne venait, du reste, aucunement au secours de l’industrie irlandaise, puisque des droits excessifs en interdisaient déjà, en quelque sorte, l’importation dans nos marchés. Par une espèce de compensation à cet acte d’injustice, on prit, à différentes époques, plusieurs mesures pour encourager, en Irlande, le commerce des toiles ; mais il est douteux que ce soit à elles que les Irlandais doivent l’état de prospérité auquel est parvenue cette industrie. L’une de ces mesures établissait, pour l’exportation des toiles, une prime qui a subsisté plus d’un siècle, et n’a été supprimée qu’en 1830[1]. » Ainsi, une sorte de partage, partage dicté par l’égoïsme et réglé par la force, s’était fait entre l’Angleterre et l’Irlande. À l’une l’industrie des laines, à l’autre celle des toiles ; tant il est vrai que le peuple anglais ne se croyait pas appelé à exceller dans cette dernière.

Les véritables siéges de l’industrie linière étaient donc, dans les derniers siècles, la Hollande, la Belgique, et les provinces du nord et de l’ouest de la France. C’était là que la matière première abondait, et qu’on trouvait généralement les ouvriers les plus habiles. Non que ces pays aient jamais eu le

  1. Progrès de la Grande-Bretagne, par M. J.-R. Porter.