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DE LA MISE EN SCÈNE CHEZ LES ANCIENS.

La loi qui défendait à Rome de nommer sur la scène aucun homme vivant, fut si strictement observée, que Térence, qui a dirigé deux de ses prologues contre un poète envieux[1], ne l’a désigné que par ses œuvres. Deux acteurs, pour avoir violé cette loi en nommant l’un le poète Accius[2], l’autre Lucilius, furent cités en justice. Les juges condamnèrent le premier, je ne sais à quelle peine ; le second fut absous[3], sans doute parce qu’on trouva qu’un satirique de profession était mal venu à se plaindre d’une personnalité scénique. D’ailleurs, cette législation et les applications qui en furent faites, prouvent que la censure n’était pas encore usitée à Rome ; car avec cette arme on n’a besoin de rien défendre ni de rien punir ; on prévient et l’on empêche.

Sylla, qui pendant sa dictature exagéra toutes les tendances aristocratiques de la constitution de Rome, mit, vers l’an 672, au rang des crimes de lèse-majesté la publication des écrits diffamatoires et, à plus forte raison, la diffamation théâtrale[4]. Cette loi, abandonnée pendant les premières années de l’empire, fut reprise par Auguste[5], puis aggravée par Tibère[6] et par quelques-uns de ses successeurs[7]. Ce terrible instrument de répression fut, suivant Arnobe, la sauve-garde des magistrats et des sénateurs contre les outrages des poètes[8]. Mais à une pénalité si menaçante, Sylla, les triumvirs et les empereurs ont-ils ajouté quelques mesures préventives ? Ce Spurius Metius Tarpa, président d’un comité de lecture et grand juge de la poésie au siècle de Cicéron et d’Auguste, a-t-il joint une mission politique à ses fonctions littéraires ?

Quelques critiques ont cru voir un indice de l’établissement de la censure à Rome vers les dernières années de la république, dans l’empressement et, pour ainsi dire, dans la fureur avec lesquels le peuple romain saisissait au théâtre les moindres allusions politiques. Pendant les représentations données pour les jeux apollinaires de l’an 694, le tragédien Diphile désigna Pompée d’une manière fort insolente. « L’assemblée, dit Cicéron, lui fit répéter vingt fois ces

  1. Donat appelle ce poète tantôt Lucius Lavinius, tantôt Luscius.
  2. Cicer., Rhetor. ad Herenn., lib. I, cap. XIV.
  3. id., ibid., lib. II, cap. XIII.
  4. id., Ad Famil., lib. III, epist. 2.
  5. Sueton., Octav., cap. LV. — Tacit., Annal., lib. I, cap. LXXII.
  6. id., Annal., lib. IV, cap. XXXIV.
  7. Claude réforma par de sévères édits la licence théâtrale, en s’appuyant sur la loi de lèse-majesté. id., Annal., lib. XI, cap. XIII.
  8. Arnob., Adv. Gent., lib. IV, pag. 150, seq.