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DE LA MISE EN SCÈNE CHEZ LES ANCIENS.

était trop nécessaire aux échos de l’Acropole, pour que cette interdiction absolue pût se prolonger. Force fut aux Romains de rendre aux Grecs les représentations scéniques, qui faisaient partie de toutes leurs fêtes. Sans doute, la Grèce ne pouvait pas, à cette époque, conserver plus de véritable liberté théâtrale que de liberté politique. Il me paraît même que les agonothètes, qui avaient toujours eu la surveillance des jeux, furent chargés alors, par extension, de l’examen préalable des pièces de théâtre qui, de temps à autre, concouraient encore pour les prix. Cette conjecture est fondée sur le passage suivant de Lucien : « Si l’on n’a pas admis, dit-il, la danse (c’est-à-dire la pantomime) dans les concours, c’est, je pense, parce que les agonothètes l’ont regardée comme une chose trop belle et trop respectable pour la soumettre à un examen[1] ». D’où l’on peut inférer que les autres genres de poésie ou de drame, qui faisaient partie des concours en Grèce, subissaient à cette époque un examen préalable, qu’on regardait, à bon droit, comme avilissant.

Toutefois, si quelque chose d’assez semblable à la censure fut établi en Grèce par les Romains, cette législation préventive fut loin de s’étendre à tous les lieux et à tous les temps. Aristide, au IIe siècle, a composé un discours contre l’usage des personnalités comiques, qui tendait à renaître dans quelques villes de l’Asie-Mineure, et notamment à Smyrne[2]. Les théâtres d’Égypte et de Syrie conservèrent surtout une grande licence. Cassius, lors de sa révolte contre Marc-Aurèle, ne crut pouvoir rien faire de plus agréable aux habitans d’Antioche, que de leur accorder des spectacles, des assemblées publiques et la liberté de tenir toutes sortes de propos ; ce que Marc-Aurèle victorieux se hâta de leur interdire par un décret très sévère[3]. On voit encore, en cette occasion, l’usage des lois répressives et nulle trace de lois préventives. Cela nous conduit à chercher ce qui se faisait à Rome.

Le génie grave, sévère, fortement hiérarchique, de la constitution romaine fut, dès la naissance des jeux scéniques, un obstacle à la liberté moqueuse dont a joui presque constamment le théâtre grec. La comédie naquit, il est vrai, dans les campagnes de l’Italie, comme elle était née dans les bourgs de l’Attique, de l’Arcadie et de la Sicile, des railleries amébées, des dialogues bouffons, des improvisa-

  1. Lucian., De Saltat., cap. XXXII.
  2. Arist., Orat., tom. II, pag. 281.
  3. Capitol., Marc. Anton., cap. XXV. — Il les priva même de tous leurs spectacles ; mais il les leur rendit dans la suite. V. Gallican., Avid. Cassius, pag. 203.