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sante nous ne possédions que cette magnifique liste de personnages.

Si d’Athènes nous passons dans les contrées gouvernées par des rois, nous y trouvons presque la même liberté dramatique. En Sicile, où la gaieté populaire ne cessa, à aucune époque, de promener aux jours de fête le chariot comique dans les campagnes, et d’en faire descendre sur la foule les sarcasmes et les railleries[1] ; en Sicile, où les anciens iambistes[2] et, plus tard, Epicharme, perfectionnèrent l’œuvre du Thespien Susarion, Philoxène osa, dans un drame intitulé le Cyclope, persifler Denys le tyran, son rival auprès de Galathée[3]. On cite encore comme joué à Syracuse un autre drame satyrique, sinon plus audacieux, du moins plus ouvertement personnel : c’est le Ménédème de Lycophron, dans lequel le chef de la secte d’Érétrié paraissait travesti en Silène, et ses disciples en Satyres[4] ; bouffonnerie qui, pour le fond et pour la forme, rappelle la comédie des Philosophes de Palissot. J’ajouterai que Lycon, jouant avec sa troupe devant Alexandre, glissa dans une comédie un vers qui renfermait une demande d’argent[5]. Or, de pareilles libertés excluent toute idée de censure théâtrale.

Quand les Romains étendirent leur domination sur la Grèce, ils trouvèrent plus commode et plus sûr d’imposer silence au théâtre, que de le censurer. Voici en quels termes un orateur, partisan de Mithridate, terminait une de ses harangues aux Athéniens : « Qu’est ce donc que je vous conseille ? De ne plus persévérer dans l’anarchie que le sénat romain entretient parmi vous, jusqu’à ce qu’il lui plaise de décider quelle forme de gouvernement vous devez avoir… Ne voyons pas avec indifférence les lieux sacrés devenus déserts, les gymnases délabrés, les théâtres vides, les tribunaux muets et le Pnyx interdit aux assemblées du peuple, malgré les oracles des dieux qui l’ont consacré à cet usage ! Non, Athéniens, ne voyons plus avec indifférence le temple des Dioscures fermé, la voix sacrée de Bacchus réduite au silence, et les écoles des philosophes sans maîtres et sans auditeurs[6] ! »

En effet, les jeux du théâtre étaient trop intimement liés en Grèce à tous les usages civils et religieux ; la voix sacrée de Bacchus

  1. Suid., voc. Atexandrini currus.
  2. Athen., lib. IV, pag. 181, C.
  3. Ælian., Var. hist., lib. XII, cap. XLIV.
  4. Athen., lib. II, pag. 55, C, D, et lib. X, pag. 420, A-C.
  5. Plutarch., De Fortun. Alexandr., pag. 334, E, F.
  6. Posidam. Apam., ap. Athen., lib. V, pag. 213, D, E.