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DE LA MISE EN SCÈNE CHEZ LES ANCIENS.

Ces magistrats tiraient au sort, non-seulement l’ordre dans lequel chaque tribu devait concourir, mais le nom des cinq juges ou jurés chargés de décerner les prix[1] ; car à Athènes le jugement par jurés était admis même en matière de goût. De plus, les archontes puisaient dans le trésor théorique, c’est-à-dire dans la caisse des fonds destinés aux fêtes religieuses, la somme, d’abord modique, nécessaire pour acquitter les prix, et pourvoir aux libations et aux sacrifices qui se faisaient toujours dans les théâtres anciens avant[2] et après les représentations[3]. Jusque-là, comme on voit, les poètes n’avaient rien à demander à l’archonte ; mais, lorsqu’Eschyle et Sophocle eurent substitué à l’acteur unique de Thespis un second et bientôt un troisième acteur ; lors, surtout, qu’Eschyle eut transformé le chariot tragique en un véritable théâtre ; lorsque ce roi des fêtes de Bacchus[4] eut inventé tout le matériel scénique, habits, masques, cothurnes, décorations, machines, les dépenses que ces nouveautés exigèrent, et qui finirent par être immenses[5], excédèrent les ressources de simples particuliers. Les chorèges, quoi qu’en aient dit Saumaise et, de nos jours, M. Boettiger[6], déjà bien assez chargés par les frais que nécessitaient l’équipement et l’instruction des chœurs, furent complètement dispensés de ce qui regardait la pièce et les comédiens. L’état dut subvenir à ces nouvelles dépenses, et puiser plus abondamment, par la main des magistrats, dans la caisse des fonds théoriques. Cette caisse, qui s’alimentait, dans l’origine, de l’amodiation des terrains sacrés, se remplit indûment, sous l’administration de Périclès, des contributions levées sur les alliés pour l’entretien des flottes et la défense commune[7]. De cette largesse et, comme nous dirions aujourd’hui, de cette subvention théâtrale, résulta pour les archontes le droit d’intervenir, pour une certaine part, dans le choix des pièces qu’on admettait au concours. Dès-lors, ce ne fut plus assez pour un tragédodidascale ou un

  1. Epichariv., ap. Zenob., Centur. III, prov. 64. — Hesych., voc. Πέντε κριταί. — Samuel Petit croit qu’il y avait dix juges à Athènes pour les tragédies ; mais il s’appuie sur Plutarque (Cim., cap. VIII) : c’est prendre une exception pour la règle.
  2. Aristoph., Ran., v. 871, seqq.Athen., lib. XIV, pag. 626, F. — Harpocr. et Suid., voc. Καθάρσια.
  3. Poll., lib. VIII, cap. IX, § 104. — Suet., Claud., cap. XXI. — Plutarch., Cim., cap. VIII.
  4. Aristoph., Ran., v. 1290.
  5. Plutarch., Sympos., lib. VII, quæst. 7, pag. 710, F. — id., Utrum Athen. bell., pag. 348, F.
  6. Boettig., Quid sit docere fab., prolus. prior, pag. 290-297, ed. Sillig.
  7. Plutarch., Pericl., cap. IX. — Justin., tom. VI, cap. IX.