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ditions des conquérans et les migrations des peuples. Est-il surprenant que les races germaniques venues du plateau central de l’Asie aient emporté quelques souvenirs d’une région par où elles ont dû passer ?

Toutes les fois que l’on compare une poésie quelconque aux poèmes d’Homère, de fortes restrictions sont nécessaires ; car il y a une distance considérable, il faut le dire, entre tous les autres monumens de l’épopée primitive et ces monumens merveilleux qui ont été un objet d’admiration et une source d’enthousiasme pour les peuples civilisés de l’Occident. Les progrès de l’érudition littéraire ne découvrent pas des Iliades et des Odyssées dans tous les coins du monde. Seulement, par leur formation et leur nature, ces mémorables produits de l’âge héroïque de la Grèce peuvent être mis dans un certain rapport avec d’autres produits de l’esprit humain nés dans des circonstances à peu près pareilles. Voir dans la poésie homérique une œuvre individuelle que rien n’avait préparée, voir dans Homère le père de l’Olympe, c’était méconnaître la marche des choses, et refuser sa part à la tradition orale, dont les poètes primitifs sont toujours les organes ; c’était dépouiller un peuple au profit d’un homme, et grandir l’individu au détriment de l’humanité. D’autre part, ne voir que la tradition dans l’œuvre du poète, qui l’a reçue sans doute, mais qui l’a disposée, l’a ordonnée, se l’est appropriée par l’art ; ne pas tenir compte de son action personnelle, nier d’une manière absolue la possibilité de son existence, ce serait tomber dans une autre exagération non moins outrée et non moins fausse que la première. Il faut les éviter toutes deux, et, après avoir élevé la statue d’Homère sur son véritable piédestal, qui est la tradition nationale, il faut replacer la lyre ordonnatrice dans ses mains inspirées.

D’après ce qui précède, on doit s’attendre à trouver entre l’Iliade et le Livre des Rois, à côté d’une analogie fondamentale, des différences profondes. L’analogie consiste surtout dans le point de départ et le but du poète. Pour Firdousi comme pour Homère, il s’agit de raconter la tradition du pays transmise et non inventée, reçue et non créée. De plus les deux poèmes ont un certain air de parenté ; la simplicité de la composition, la largeur et la rapidité de la narration, les récits de batailles nombreux et animés, les comparaisons fréquentes, les discours au milieu de la mêlée, rappellent l’Iliade ; mais la diversité des temps, des lieux, du génie des auteurs introduit de notables différences, même dans ces élémens communs aux deux poèmes. La composition est simple dans tous deux ; mais on ne saurait nier que cette simplicité ne soit plus savante chez Homère. Homère, ou si