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petits, que nous ayons été bergers ou que nous ayons été troupeau. » Il y a une grande mélancolie dans ces contemplations rapides par lesquelles le poète interrompt un moment la course des évènemens. Ailleurs il dit : « Au commencement, la vie est un trésor ; à sa fin est la peine, et puis il faut quitter cette demeure passagère. »

Linquenda tellus et domus

Cette mélancolie se mêle singulièrement à des images gracieuses dans le passage suivant qui précède le récit de la mort de Zohak, et que je traduis d’après Gœrres : « Ô jeune homme qui m’écoutes, ne détourne pas ton visage de l’amour et de la joie, car l’amour et la joie conviennent à la jeunesse. Après nous, bien souvent encore doit revenir la saison où la rose brille, où le printemps se renouvelle. Beaucoup de nuages passeront, beaucoup de fleurs se fermeront ; ton corps se dissoudra et se mêlera avec la terre noire. » Je trouve un grand charme de tristesse à ce morceau qui commence comme Anacréon et finit comme Job.

Pour achever de faire connaître au lecteur le grand ouvrage dont je viens de l’entretenir, je rapprocherai de la poésie héroïque persane quatre autres poésies de même nature ; je comparerai successivement l’épopée de Firdousi à l’épopée chevaleresque, à l’épopée germanique, à l’épopée homérique et à l’épopée indienne.

J’ai déjà fait remarquer, en passant, certains incidens du Livre des Rois, qui sont de véritables aventures fort analogues à celles des romans de chevalerie. On pourrait pousser ces rapprochemens beaucoup plus loin. Les mœurs guerrières des héros de l’Iran offrent de grandes analogies avec les mœurs chevaleresques.

Il y a dans Firdousi de véritables défis et de véritables joutes entre les deux armées. On se livre à des exercices militaires fort semblables à nos tournois. Les guerriers, montés sur des chevaux couverts de fer comme eux, se précipitent l’un sur l’autre, brisent leur lance sur l’écu d’un adversaire et cherchent réciproquement à s’enlever de la selle. Un jeu guerrier, qui consiste à frapper un bouclier avec la lance ou le javelot, ressemble beaucoup à la quintaine. L’usage des armoiries est universel ; chaque guerrier porte son signe : c’est un lion, un léopard, un soleil, etc. Les chevaux, et même les éléphans, sont caparaçonnés de fer. Les vignettes des manuscrits de Firdousi semblent empruntées à nos poèmes du moyen-âge, tant l’accoutrement des héros est pareil à celui de nos chevaliers. L’une d’elles, publiée par Gœrres, montre un guerrier aux genoux d’une belle.