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LE SCHAH-NAMEH.

génie ; il n’en altéra nullement le fonds, mais il en détermina la forme. Après avoir apprécié le Livre des Rois comme œuvre historique, on ne saurait donc faire abstraction de son caractère comme œuvre d’art, et c’est sous ce dernier aspect qu’il nous reste à l’envisager.

Le Livre des Rois offre les caractères généraux de la poésie orientale, qui sont l’éclat et la grandeur. Les mœurs dont Firdousi présente le tableau sont empreintes de cette magnificence qu’on a coutume d’attribuer à l’Orient, et qui avait dû frapper les yeux du poète à la cour de Mahmoud, de ce conquérant qui avait dépouillé de leurs trésors les temples de l’Inde. Le palais de Feridoun est le palais agrandi et idéalisé de Mahmoud le Ghaznévide ; il y a un incroyable éclat dans les peintures qui nous montrent le roi des rois assis sur son trône, entouré de ses grands tout brodés d’or de la tête aux pieds, avec des massues d’or et des ceintures d’or, et toute la terre qui a pris la couleur du soleil. L’imagination de Firdousi se complaît dans ces descriptions étincelantes. Il faut l’avouer, par momens la vue se trouble et se baisse devant tant de flamme. Le lecteur, ami de la beauté sereine, voudrait qu’un nuage vînt amortir cet éclat qui l’éblouit ; mais ici, comme au désert, le soleil brille incessamment dans le ciel. La poésie de l’Occident n’a point de telles splendeurs, elle éclaire les objets d’un jour plus doux et plus tempéré. L’Occident a ses nuages et ses brumes ; mais ce sont les brumes qui produisent les accidens de lumière les plus variés, ce sont les nuages qui font les reflets.

Le style grandiose du dessin n’est pas moins remarquable que la vivacité du coloris. Quel plus grand spectacle que celui de cet empire primitif de Djemschid qui s’étend, non seulement sur le genre humain, mais encore sur les génies, sur les bêtes des forêts et les oiseaux du ciel ; c’est que, selon les notions orientales, l’idée de l’empire se confond avec l’idée de l’univers. La Chine et la terre s’appellent d’un même nom, le dessous du ciel ; cette prétention à l’empire universel a été celle des grands peuples de l’antique Orient, des Chinois, des Babyloniens, des Persans. Puis, du fils du ciel, du grand roi, elle a passé un jour à un peuple, le peuple romain ; plus tard elle s’est incarnée de nouveau dans un homme. Chez les Césars, chez les empereurs modernes, c’était toujours, mais restreinte et moins absolue, la conception orientale du souverain empire. Il y a plus : la nature elle-même est soumise, en Orient, au pouvoir suprême qui régit l’humanité. On reproche à l’empereur de la Chine les tremblemens de terre et les inondations, comme des désordres et des abus